Merci Dominique et Coline pour vos contributions et likes.
Je rappelle le post de Dominique du 9 octobre sur LinkedIn concernant mon article précédent : « J’ai du mal à croire que le procès Sarkozy mette en évidence des attentats vieux de plus de trente ans… »
Et celui de Coline, le même jour : « Cet article met clairement en évidence les liens entre ces attentats, soulignant ainsi la responsabilité vraisemblable de Mitterrand. »
Je commencerais mon commentaire en évoquant une autre affaire d’Etat dont on a parlé dans la presse la semaine dernière (Médiapart, 2 octobre), celle de la mort du ministre Boulin qui hante la République depuis 1979. Un nouveau document, avec témoignage, apporte une évolution dans la compréhension, des noms, une piste qui relance l’affaire, 45 ans plus tard. Le témoin, Elio D., dit ne plus avoir « peur pour [sa] peau ni pour [sa] famille ».
La peur. Voilà un beau sujet dont l’examen des mécanismes peut ici nous aider.
On perçoit bien ce qu’est la peur pour le témoin d’un crime. On la perçoit peut-être moins bien pour le témoin de l’impunité. Elle s’exprime, dans ces deux cas, de façon différente mais finit par se confondre avec le temps.
Pour le témoin d’un crime, elle est violente, frayeur indissociable de l’immédiateté de sa perception et de la réponse, fuite ou combat.
Pour le témoin de l’impunité, elle se construit d’abstractions, elle est intellectuelle. C’est la peur des enjeux qui le dépassent. Dans l’affaire Boulin, Elio D. comprend qu’il s’agit d’un crime touchant l’Etat. Un ministre a été tué. D’où sa peur « pour sa peau et pour sa famille ». Avec le temps, la réflexion du témoin se poursuit. La pensée ne peut s’arrêter. Les personnes qui étaient aux affaires ne le sont plus. La peur se dissipe. Le témoin possède toujours ses documents mais n’a plus peur. Subsiste encore quelques traces, la peur des autres, celle de ne pas être entendu, du déni. Mais celles-là aussi s’émoussent.
Si le témoin de l’impunité est également le témoin du crime, s’il avait choisi le combat pour la justice et la vérité, il poursuivra son combat pour comprendre l’impunité. Et quand il comprendra, le temps aura effacé toutes les peurs. Il n’aura plus peur « pour sa peau et pour sa famille ». Il n’aura plus peur de témoigner.
La peur est le principal obstacle de la justice. La peur de comprendre, la peur de poser les bonnes hypothèses, la peur de conduire une réflexion dans un domaine qui n’est pas le sien habituellement, la peur des enjeux, des conséquences, la peur de contredire des vérités tenues pour sûres bien que sans fondements, la peur de penser les affaires d’Etat. Toutes ces peurs sont aussi le principal obstacle de la Justice.
Mais il faut aussi être très prudent quand la peur est présente dans un dossier ou l’a été. Elle peut, à tous moments, réapparaître là où on ne s’y attend pas, entraver le travail de compréhension de ces affaires, qui nous concernent tous quand l’Etat y est impliqué, et retarder le travail de la Justice.
Alors oui, l’affaire Sarkozy apportera un éclairage sur l’attentat du DC 10, les événements françafricains de ces deux années 1989-1990, au début du second mandat de Mitterrand et sur toute sa politique africaine. Si l’on veut bien regarder sereinement, sans peur, l’enchaînement des causalités, examiner les documents, les authentifier, les recouper, identifier les acteurs, observer leurs faits, leurs dires, leurs conformités à leurs actions.
Merci encore à Dominique et Coline pour cet embryon de débat contradictoire.