De Juba à Khartoum, décrit l’apparition du conflit sud-soudanais en 1983 et sa cause, les lois du nouveau code islamique soudanais de septembre 83. La rébellion de John Garang souhaite une conférence constitutionnelle en vue d’un Soudan laïc et demande l’abrogation des lois de septembre et, à partir de 1985, de l’accord militaire avec la Libye. Le texte suit le parcours de Christopher Carr, le conflit civil qui s’étend, l’entrée des islamistes au gouvernement en mai 1988, la mobilisation de l’ONU pour apporter une aide alimentaire à la population civile victime de la famine au Sud-Soudan. La fin de l’année 1988 laisse entrevoir une issue possible avec l’accord de pré-négociation de paix signé entre le DUP et le SPLA le 16 novembre. L’accord est rejeté par le premier ministre Sadek el Mahdi et le DUP quitte le gouvernement le 31 décembre 1988. En mars 1989, Christopher assiste à la grande réunion de l’ONU de Khartoum qui définit les moyens à mettre en œuvre à destination des victimes civiles du sud. Le gouvernement de coalition Oumma-NIF démissionne. Une nouvelle coalition Oumma-DUP forme, le 27 mars, un nouveau gouvernement dont le programme est l’accord de pré-négociation du 16 novembre. La grande opération onusienne se met en place et les événements se précipitent à N’Djamena où a lieu « l’action du 1er avril » d’Idriss Déby, qui se replie au Darfour. L’abrogation de l’accord militaire entre le Soudan et la Libye, qui remet en cause la présence des bases arrière libyennes en appui à l’opposition politico-militaire à Hissène Habré, doit être acté le premier juillet 1989 lors du déplacement de Sadek el Mahdi à Tripoli. Le coup d’État d’Omar el Béchir permet d’éviter cette abrogation. Les ONG, les agences onusiennes, le CICR poursuivent leurs actions. Deux mois plus tard, par le compromis d’Alger, Kadhafi perd la bande d’Aozou. L’accord engageant la Libye et le Tchad sera suivi, 15 jours plus tard, de l’attentat du DC10, le 19 septembre 1989.

Les inondations de Khartoum des 4 et 5 août 1988

Les inondations du mois d’août 1988 braquent les projecteurs des médias occidentaux sur le Soudan.

Les téléspectateurs français des journaux télévisés découvrent « un des pays les plus pauvre du monde ». La catastrophe est désastreuse et l’aide internationale peine à arriver aux sinistrés. On s’interroge : qu’en est-il de l’acheminement des secours vers les provinces inondées ? Il apparaît que les secours ne bénéficient qu’à certaines personnes, que la primeur est donnée aux islamistes. La situation sanitaire due aux inondations se complique de motifs politiques. Les appartenances non seulement politiques mais aussi ethniques et religieuses sont déterminantes. Les distributions suivent le clivage de la guerre du sud.

Depuis l’entrée des islamistes au gouvernement de Khartoum, l’État soudanais considère toute personne en provenance du sud comme un soutien à la rébellion de John Garang et une menace à sa sécurité. L’étouffement de la population civile venue du sud est en marche. Qu’en est-il de la situation dans ces provinces éloignées ?

La crue du Nil.
L’aide à la population victime de la crue.

Operation Lifeline Sudan

Les gouvernements successifs du Premier ministre Sadek el Mahdi poursuivent la politique d’étouffement du sud de Nimeiri, le dictateur déposé en 1985, et arment les tribus baggara du Kordofan et du Darfour. Cette ethnie, qui revendique une origine arabe Juhayna, constitue la principale milice que Khartoum envoie combattre les Dinka dans le Sud-Soudan. Les Baggara, traditionnellement éleveurs de bovins, de dromadaires et de petit bétail, nomadisent au Sud-Darfour et au Sud-Kordofan. Ils sont au contact des Dinka à la saison sèche, lorsque les troupeaux descendent vers le sud à la recherche d’eau, et affrontent régulièrement les Dinka, également éleveurs de bovins, en des combats sanglants s’accompagnant de razzias et de chasses aux esclaves. En armant les Baggara, Khartoum dispose ainsi d’une force supplétive non négligeable.

Les Baggara sont aussi les seuls négociants en bétail de la région. Marchands, ils sont les seuls fournisseurs de sorgho, la base de l’alimentation au Soudan. Avec l’appui du gouvernement de Sadek el Mahdi, ils fixent les prix et les Dinka n’ont pas le choix. N’ayant qu’un seul débouché pour leurs têtes de bétail, les marchants baggara, les Dinka sont à la merci de leurs seuls pourvoyeurs de sorgho. Aussi, depuis l’entrée des islamistes au gouvernement en mai 1988, la guerre économique est rigoureusement encadrée. Les prix des bovins se sont effondrés, celui du sorgho s’est envolé. Les Dinka vendent leurs bêtes aux seuls marchands possible, les Baggara, mais ne peuvent se nourrir. La famine se répand sur fond de guerre civile. La population du Sud-Soudan est pris au piège. Les ONG alertent. La communauté internationale, qui soutient le Soudan dans son accueil des réfugiés des conflits érythréen, ougandais et tchadien, ne peut être indifférente au sort que réserve Khartoum à son propre peuple. Les ambassades rendent compte. Un mouvement coordonné de l’ensemble des pays donateurs est nécessaire. L’ONU mandate des missions d’évaluation, coordonne l’action des ONG, fixe les priorités. Le conflit entre Khartoum et le SPLA doit permettre aux secours de l’aide internationale d’accéder aux victimes de la famine. En mars 1989, l’ONU définit un plan d’action. Une grande réunion se déroule à Khartoum les 8 et 9 mars. Elle réunit les agences onusiennes, PAM, PNUD, FAO, HCR, UNICEF, OMS, le Premier ministre Sadek el Mahdi, les représentant de l’État soudanais et les administrations concernées, les ONG, le CICR, l’USAID et détermine le cadre du plan d’action. Une trêve d’un mois doit permettre l’acheminement des secours par voies routière, ferroviaire, fluviale et aérienne vers tous les lieux où la population est victime de la famine. On compte 2 250 000 ressortissants soudanais à qui il faut apporter une aide d’urgence avant la saison des pluies et 600 000 personnes déplacées sont menacées de mourir de faim à brève échéance. Le Premier ministre est contraint d’approuvé le plan et James Grant doit obtenir l’accord du SPLA pour une trêve d’un mois.

James Grant rencontre John Garang

James Grant rencontre John Garang

La contre-proposition de John Garang, qui sera finalement validée par les deux parties, est de former « huit couloirs neutres » par lesquels les secours pourront être transportés sans être inquiétés par les forces en conflit. Ces « couloir neutres » assureront la sécurité du fleuve à destination de Malakal, de la route, pour Juba à partir de l’Ouganda et du Kenya, du train pour Aweil.

L’opération est baptisée Operation Life Line Sudan. Elle se déploie à partir du 1er avril 1989. Son directeur exécutif est James Grant, directeur général de l’UNICEF. Vingt-six ONG y participe, ainsi que les agences onusiennes, le CICR, l’USAID. Le coût total de l’opération est estimé à 133 millions de dollars dont 78 sont déjà engagés. Il reste 55 millions de dollars à trouver. James Grant, à Paris le 29 mars, lance un appel à la communauté internationale. Audrey Hepburn, ambassadrice de bonne volonté de l’UNICEF, se rend au Soudan et mobilise l’opinion publique.

Audrey Hepburn à Muglad

Audrey Hepburn à Muglad

 © UNICEF Southern Sudan/Jeremy Hartley: 1989

Audrey Hepburn visite le Soudan

Audrey Hepburn visite le Soudan (suite)

Audrey Hepburn visite le Soudan (suite)

Interview d’Audrey Hepburn par Larry King le 19 avril 1989 sur CNN

Interview d’Audrey Hepburn par Frédéric Mitterrand le 22 mai 1989 sur Antenne 2

Le lancement d’OLS, 1er avril 1989

OLS se met en place suivant le programme du plan d’action définit lors de la réunion de Khartoum du 8 et 9 mars 1989.

Carte du document A-44-571

Les couloirs neutres d’OLS.

Le plan d’action est détaillé dans le document A-44-571. Les moyens de transport de l’aide internationale sont le Nil pour Malakal, le train pour Aweil, les camions pour Wau par Raga, et à partir de l’Ouganda, du Kenya et de l’Ethiopie, à destination des villes du sud proches des frontières. Les ponts aériens complètent le dispositif pour servir les villes peu accessibles.

Le premier vol de F-OGSM au Soudan, 22 avril 1989

MSF est au Soudan depuis le début des années 80. Les humanitaires français apportent leur soutien aux hôpitaux des villes du sud, ou les régions en bordure de la frontière accueillent les réfugiés du conflit ougandais. Des camps ont été installés et très vite submergés par l’afflux incessant en provenance d’Ouganda. Les réfugiés s’ajoutent à la population locale et les infrastructures sont dépassées. MSF assiste les hôpitaux de Yei, Maridi, Yambio et Tambora. Les humanitaires français sont aussi présents à l’est du Soudan autour de Kassala et Gedaref, où des camps accueillent les réfugiés érythréens et tigréens. Ils assurent les besoins d’assainissement  de l’eau et soins de premiers secours. Le déclenchement de la deuxième guerre civile en 1983, son intensification au cours des années 80, le recours aux milices tribales, l’accord militaire avec Tripoli en 1985 ont ajouté les « réfugiés de l’intérieur » aux réfugiés des conflits voisins et multiplié les besoins d’assistance à la population civile.

Carte boucle sud F-OGSM

Carte boucle sud de F-OGSM

La situation s’est encore aggravée en 88. Les islamistes sont entrés au gouvernement, l’ONU a pris en main les opérations de secours. MSF, qui dépend des agences onusiennes ou du CICR pour l’acheminement de sont fret et le transport de ses équipes, voit les tensions devenir toujours plus fortes sur les plannings, les places disponibles dans leurs avions, les autorisations de leurs plans de vols. En novembre 88, MSF étudie, avec ASF, la possibilité de se doter d’un avion dédié à ses propres activités. Il est estimé qu’un budget de 40 heures de vol par mois sera nécessaire. Le financement ayant été approuvé, les démarches pour l’importation du Britten Norman dans l’espace aérien soudanais ont été entreprises et le 7 avril F-OGSM arrive à Khartoum.

Le déploiement d’OLS

L’accord d’OLS obtenu en mars auprès des deux parties en conflit permet aux secours d’accéder au Sud-Soudan par la voie des airs mais le chemin de fer et les convois routiers rencontrent de grandes résistances de la part des milices soudanaises.

Le train en route pour Aweil

 © UNICEF Southern Sudan/Jeremy Hartley: 1989

Extrait de Malim Une histoire française, chapitre 30 juin 1989, la Grande Terreur

« Au retour de ses vacances le 8 juin, Christopher fait le point des événements lors de son absence. Depuis son départ, le dialogue de sourds entre le gouvernement de Khartoum et les rebelles s’est poursuivi. Le train de 1 500 tonnes de nourriture pour Aweil, commandé et promis pour le 15 avril, est finalement parti avec un mois de retard. En arrivant à Muglad, il a été arrêté.

Le 15 mai, des hommes armés, décrits par le chef du PNUD, Bryan Wannop, comme étant des Misseriya, ont exigé que le train ne distribue pas de grain dans les zones contrôlées par le SPLA. Wannop ne pouvait céder aux exigences des Misseriya. Il ne pouvait trahir l’ensemble des accords liant les Nations unies au gouvernement et aux rebelles. Le train fut libéré quatre jours plus tard et poursuivit son chemin pour Malwal, Maybour et Aweil, traînant péniblement seize wagons derrière sa locomotive.

Le train arrive à Aweil

 © UNICEF Southern Sudan/Jeremy Hartley: 1989

La revanche des Misseriya eut lieu le 22 mai. Une centaine d’hommes armés immobilisèrent le train à Malwal, à une vingtaine de kilomètres au sud de Muglad. Wannop en a été extrait par les armes. Les Misseriya l’ont menacé de mort. Les cheminots ont intercédé auprès des miliciens. Ils avaient leur honneur et ne pouvaient laisser assassiner un étranger sous leur responsabilité. Ils payèrent une rançon de 3240 LS et Wannop fut libéré. La rançon de l’équivalent de 200 USD a sauvé la vie du représentant du secrétaire général des Nations unies et le train est finalement arrivé en gare d’Aweil.

La foule d’Aweil
se regroupe autour du train
La distribution de nourriture

© UNICEF Southern Sudan/Jeremy Hartley: 1989

Le 30 mai, le SPLA a annoncé une prolongation de deux semaines du cessez-le-feu décrété le 1er mai pour une durée d’un mois. Le lendemain un Transall ouest-allemand fut attaqué sur l’aéroport de Torit, en zone rebelle, par l’aviation soudanaise. Le personnel humanitaire déchargeait les vivres quand le commandant de bord dut redécoller d’urgence, la porte de la soute grande ouverte. L’avion fut une nouvelle fois attaqué en vol avant de pouvoir se poser à Entebbe. L’acheminement des secours a été interrompu. La RFA a protesté par voie diplomatique auprès du gouvernement soudanais, et James Grant, dans sa note de protestation, a souligné la violation des accords signés. Khartoum s’est défendue d’avoir ordonné l’attaque. »

Le coup d’État des islamistes, 30 juin 1989

Photo vue du ciel de la prison de Kober

La prison de Kober

Omar el Bechir prend le pouvoir le 30 juin 1989. Toute la classe politique est incarcérée à la prison de Kober. Derrière le coup d’État : les islamistes d’Hassan el Tourabi.

Le compromis d’Alger, 31 août 1989

Après le cessez-le-feu du 11 septembre 1987, Kadhafi maintient la pression sur le Tchad à partir du Tibesti, du sud libyen et du Darfour.

L’OUA tente de travailler sur le différend frontalier et propose une réunion du comité ad hoc en vue d’un sommet en la capitale zambienne fin septembre 1987. Les présidents tchadien et libyen y sont conviés. Kadhafi demande un report et se fait représenter à Lusaka par son ministre des Affaires étrangères. Un nouveau sommet du comité ad hoc de l’OUA est prévu mi-janvier à Dakar.

Au Darfour et dans l’est tchadien les combats s’intensifient. Habré les dénoncent au sommet franco-africain d’Antibes. Le président tchadien n’est pas entendu. Puis le sommet de Dakar est repoussé en avril, puis en mai, par le président gabonais, président du comité ad hoc. En cette période pré-électorale, il est urgent d’attendre.

Après la réélection de Mitterrand et le cadeau à l’Afrique de Kadhafi, accueilli favorablement par l’OUA, Habré doit faire bonne figure. Il se dit prêt à rétablir les relations diplomatiques avec la Libye, mais reste vigilant. On assiste alors à une série de tentatives visant à rapprocher Tchad et Libye et à mettre en place un processus de paix. Le chef d’État gabonais propose une réunion des ministres des Affaires étrangères tchadien et libyen à Libreville du 5 au 7 juillet. Aucun accord n’est trouvé sinon de reporter la suite des conversations à une date ultérieure non fixée, dans un lieu pas davantage fixé. Puis la Tunisie propose une rencontre, sans définir d’ordre du jour. La Libye propose également une rencontre, sans plus définir d’ordre du jour, le différend frontalier passant au second plan. Puis, en septembre 1988,  Kadhafi organise, en grande pompe, le rapatriement de prisonniers tchadiens détenus en Libye et en octobre, les tractations togolaises aboutissent à la réouvertures des ambassades respectives et au rétablissement des relations diplomatiques. Les combats se multiplient pourtant à la frontière soudano-tchadienne, menaçant le Tchad. Mitterrand parle de détente et  annonce un allègement d’Epervier. La médiation gabonaise propose une réunion ministérielle tripartite, entre Tchadiens, Libyens et Gabonais, à Libreville, au mois d’avril 1989. Elle se tient en juin, sans résultat. Une rencontre est proposée à Bamako le 20 juillet. Kadhafi, après le coup d’État d’Omar el Bechir à Khartoum, consent à l’accepter. Elle n’a pas plus de résultat, si ce n’est deux tête-à-tête stériles, entre Habré et Kadhafi, de trois heures environ chacun, dans la nuit du 20 au 21 juillet. Après l’échec du sommet de Bamako, les médiations formelles du Gabon, de l’Algérie et du Mali cèdent la place à la médiation informelle de l’homme d’affaires algérien installé en France, Djilali Mehri. Deux délégations sont formées, représentant le Tchad et la Libye et une rencontre convenue en France, dans les Yvelines, à Orgerus, « sous l’œil attentif de la DGSE »,(Silberzahn, Au cœur du secret, p 73) dans le domaine de Pré-Bois, propriété de Djilali Mehri. Elle aboutit à la rédaction d’un document, le compromis d’Alger.

Journal de 20h d’Antenne 2 du 31 aout 1989

Signature du compromis d’Alger par les délégations tchadienne et libyenne

Le colonel Kadhafi exclut une signature par les chefs d’État. Il s’en explique par un message destiné au ministre Korom Ahmed, transmis à l’ambassade du Tchad à Paris le 29 août : « Nous considérons que la signature de l’accord doit être effectuée par les ministres des Affaires étrangères et le secrétaire du bureau populaire des liaisons extérieures et de la coopération internationale. Quant au traité d’amitié, il doit être signé par les leaders des deux pays, car il est impossible de mettre sur le même pied d’égalité l’accord et le traité, le traité ayant une force plus importante que l’accord .» (Allam-Mi. Autour du Tchad en guerre. p 456.)

L’attentat du DC 10, 19 septembre 1989

Journal d’Antenne 2 du 20 septembre 1989

L’attentat du DC 10 est évoqué à plusieurs reprises dans Malim Une histoire française. Il eut lieu trois mois avant l’attentat d’Aweil et quinze jours après le compromis d’Alger. Remis dans son contexte africain, le lancement de l’Operation Life Line Sudan, l’action du 1er avril d’Idriss Dédy, le coup d’État des islamistes soudanais du 30 juin, le différend territorial tchado-libyen sur la bande d’Aozou, il est évoqué aux chapitres Anne-Claire, Aweil, Mes chers parents, L’AfVT, Paris, et Cinq années d’écriture.