Les différentes tractations diplomatiques du début 1987 s’accompagnent d’un redéploiement sur le terrain des forces en présence. Pour Kadhafi, la reprise de Fada est la priorité. Ensuite, il doit assurer la protection de Faya menacée. Le guide libyen reprend le commandement du GOS depuis la base de Maaten es-Sarra, dans le sud libyen, et concentre le dispositif à Faya et Ouadi Doum, élevant les effectifs à 6 000 hommes dans la forteresse des sables. Le colonel Khalifa Haftar en prend le commandement et Ouadi Doum devient le siège de l’état-major opérationnel de toutes les forces libyennes au Tchad. Les troupes sont exclusivement constituées de Libyens de l’armée régulière. Pas de « légion islamique » ni de CDR, et les 3 000 hommes supplémentaires qui arrivent à partir de janvier proviennent de l’unité d’élite de la Saïka[1]. La base aéroterrestre se transforme en un énorme camp retranché fortifié défendu par 150 chars d’assaut soviétiques T-54, T-55 et T-62, cachés derrière des murs de pierre ou dissimulés sous le sable du désert, les T-62 de réserve étant stationnés dans le vaste parc souterrain recouvert de sable. Un périmètre défensif couvert de champs de mines et entouré de barbelés est contrôlé par une ceinture de postes d’observation enterrés dont les points d’appui sont pourvus de mitrailleuses et d’obusiers. La logistique est à la mesure de la grande base. « L’intendance a aussi suivi : les citernes d’eau, les stocks de vivres, d’outils et de pièces de rechange pour les véhicules, les dépôts de munitions (à l’intérieur du périmètre) et de carburant (à l’extérieur, au pied de la colline) sont bien pourvus dans ce véritable arsenal. »[2]

Parallèlement à une force opérationnelle du BET dévolue à la reprise de Fada, une grosse colonne légion islamique-CDR est pré-positionnée au Darfour, prête à pénétrer au Tchad. Le plan de Kadhafi est de reprendre Fada par une double contre-offensive : l’une venant de l’ouest à partir de Ouadi Doum, l’autre venant de l’est à partir du Darfour.

À N’Djamena, toutes les sources de renseignement montrent l’intention libyenne d’une attaque sur Fada. Hissène Habré et le commandant en chef Djamouss étudient les deux options pour reconquérir Faya. La première, l’attaque de front et la prise de la palmeraie, est écartée. Occupée depuis 1983 par les Libyens, protégée par un champ de mines de 30 km de large et une garnison de plusieurs milliers de Libyens et de « légionnaires islamiques », la position serait ensuite exposée aux raids aériens libyens venant de Ouadi Doum. Inversement, pour Habré et Djamouss, la forteresse des sables n’est pas imprenable. Les Libyens l’estiment invulnérable. Ce sera leur force. Aussi, la prise de la grande base, selon la tactique ayant fait ses preuves à Fada en utilisant la mobilité des pick-up Toyota et des AML, permettra la chute de la capitale du BET en la rendant isolée et vulnérable. Coupant la route Faya-Koufra, la prise de Ouadi Doum obligera les Libyens de Faya à une retraite par le Tibesti, dont le contrôle est maintenant acquis aux FANT /FAP.

À Ouadi Doum, le colonel Haftar ne croit pas au succès du plan de Kadhafi. Le dispositif défensif de la base aérienne ne convient pas à une offensive. La reprise de Fada par une force pensée pour la guerre de position est vouée à l’échec. « Haftar s’exécute mollement : il organise un Groupement de libération de Fada à partir des éléments dont il dispose sur place. »[3] Les Libyens sortent de la forteresse le 18 mars, alors que la présence de soldats libyens en progression à l’est du pays vers la région d’Iriba et de Bao Billia, à la frontière soudanaise, se confirme et menace Fada. 1 500 hommes du « Groupement de libération de Fada » quittent leur retranchement en direction de la deuxième ville du BET, où ils devront faire la jonction avec les éléments venant du Soudan. La grosse colonne, équipée de 100 blindés, néglige les patrouilles d’éclairage, l’appui aérien, la protection des flancs et bivouaque, le soir du 18 mars, sur le plateau de Djogomaï, à 80 km de Ouadi Doum.

Le 19 mars à l’aube, dans la passe de Bir-Kora, les Tchadiens encerclent l’expédition libyenne et donnent l’assaut. Faisant force de diversion, l’attaque découvre un côté des positions libyennes. Usant du relief, de la surprise et de la rapidité des 4 x 4, le commandant en chef Djamouss lance le deuxième assaut sur le dispositif libyen découvert. Les combattants du colonel Haftar sont rapidement débordés et la première embuscade de Bir-Kora anéantit la longue colonne libyenne, faisant 384 tués et détruisant 30 chars T-55[4]. La force de secours, envoyée immédiatement de Ouadi Doum, est écrasée par la même tactique le lendemain, faisant 402 morts libyens. « Au total, en deux jours de combats, on compte environ 800 morts libyens, 120 prisonniers, 40 T55 détruits (et 13 capturés), 20 blindés légers perdus, de nombreux 4 x 4 et camions Mercedes, des porte-chars Faun à dix roues, des citernes et 26 obusiers de 122 mm abandonnés. »[5]

La voie de la conquête de Ouadi Doum est ouverte. Après avoir recomposé leurs forces et un dernier briefing sur les points faibles de la défense libyenne de la grande base, les 2 500 combattants FANT reprennent l’offensive le 22 mars 1987. La grosse colonne FANT de plusieurs centaines de véhicules prend d’assaut la base aéroterrestre, profitant de la surprise et de l’incrédulité des Libyens, accablés et démoralisés par la déroute de Bir-Kora. Côté libyen, la confusion est totale. Aucune défense ne se met en place face à la fulgurance de l’attaque. L’assaut commence vers 16 heures. Une première colonne perce rapidement la première ligne défensive, là où elle est la plus vulnérable, et donne l’accès à la vague déferlante des 4 x 4 FANT. Les véhicules s’élancent vers la ligne de défense majeure suivant les itinéraires repérés à travers le champ de mines. Plusieurs pick-up explosent néanmoins. Djamouss est blessé. Il est évacué sur N’Djamena, puis Paris, où il sera soigné à l’hôpital du Val-de-Grâce. Ahmed Gorou, commandant de la GP, est lui aussi blessé. Il est également évacué sur Paris. Le commandement est repris par les adjoints et le combat continue pour finalement briser la ligne défensive et permettre l’accès au centre de la base. Les points défensifs du dispositif ennemi sont alors méthodiquement détruits, les éléments d’appui systématiquement anéantis en de violents combats « nettoyant » secteur par secteur l’ensemble de la grande base. Les Libyens ne peuvent résister. Aucune contre-attaque ne peut s’organiser. « La tour de contrôle est pulvérisée et le bunker de l’état-major hérissé d’antennes radio est pris d’assaut. »[6] La défense s’effondre et la panique s’empare de ce qui reste des combattants libyens. C’est la débandade généralisée et le chacun pour soi. Les soldats lâchent leurs armes et s’enfuient en tous sens. En quelques heures, le site et la piste sont sous le contrôle des FANT. Le colonel Haftar est fait prisonnier et 2 000 Libyens profitent de la nuit pour tenter de rejoindre Faya à travers le désert.


[1] « l’éclair » en arabe. Florent Sené. Raids dans le Sahara central. p 250.

[2] Ibidem.

[3] Laurent Touchard. La deuxième vie de Khalifa Haftar au Tchad et la défaite finale de Ouadi Doum. Jeune Afrique.com. https://www.jeuneafrique.com/41980/politique/libye-la-deuxi-me-vie-de-khalifa-haftar-au-tchad-et-la-d-faite-finale-de-ouadi-doum/ dernière consultation le 24 mars 2020.

[4] Le Monde. 24 mars 1987.

[5] Florent Sené. Raids dans le Sahara central.  p 258.

[6] Paris Match n°11976. 10 avril 1987 p. 49. Cité par Florent Sené. op.cit. p 261.