« Le 22 avril, les dernières formalités d’importation de F-OGSM sont terminées. Yvon connaît les cieux et Christopher la terre. L’administrateur de MSF a également passé son brevet de pilote il y a quelque temps, il sait lire les cartes aéronautiques, connaît les équipements de radiocommunication, les fréquences et la phraséologie, la règlementation aérienne et le calcul de cap. Ensemble, les deux hommes feront une bonne équipe. Yvon est ingénieur de formation. Il a quitté son premier métier pour se consacrer à sa passion, l’aéronautique. Instructeur à l’aéroclub de Sarlat, en Dordogne, où il réside, il a pratiqué la voltige aérienne en compétition, a remporté de nombreuses coupes et s’est retrouvé « à la tête des plus brillants palmarès de la voltige française »[1]. Il a connu ASF par Bernard Chauvreau, pilote d’essai des avions Fournier et membre de l’association depuis 1982. Yvon a rejoint les pilotes sans frontières en 1986. « Yvon est un homme d’action avant tout. »[2] Quant à Patrick, les deux mois prévus pour cette première rotation lui permettront, avec l’assistance d’Yvon, de reprendre en main ce Britten Norman de 10 places qu’il a peu pratiqué et il y a déjà longtemps.

Yvon a commencé ses services à l’association au Mali, sur monomoteur. On dit que son flegme et sa disponibilité, ses qualités professionnelles, étaient parfaitement adaptés au travail qu’on lui demandait et qu’ils y avaient fait merveille[3].

« Il ne transigeait jamais avec la sécurité, n’admettait aucune surcharge au décollage, n’entreprenait pas un vol dans des conditions météo jugées trop périlleuses. Une fois sa décision prise, bonne ou discutable, il n’était pas question de l’en faire démordre et certains le trouvaient autoritaire. D’autres le disaient taciturne, car un tantinet dur d’oreille pour avoir peut-être travaillé sans casque pendant des milliers d’heures de vol, il avait tendance à s’isoler. Mais ceux qui le connaissaient bien savaient qu’il cachait un cœur d’or sous des abords bourrus. Un peu ours, Yvon était un sage, avec les défauts de ses qualités. Après plusieurs séjours à Bamako, il s’était porté en 1989 volontaire pour le Soudan. »[4]

Le premier vol de MSF à bord du Britten Norman d’ASF doit porter Christopher et Yvon vers El Meiram, Aweil et Tambora. Pour Yvon, ce vol n’est qu’un vol comme un autre, mais pour Christopher, il est l’aboutissement de près de cinq mois de négociations et de logistique torturée. Après les dernières inspections extérieures d’usage, ils ferment les portes et Yvon commence la checklist d’avant décollage. En dernier, il vérifie le fonctionnement de l’Oméga[5] et entre les coordonnées de Khartoum, puis celles du premier point de report, El Obbeïd. Ils arrivent à la verticale de la ville vers 10 h 30. L’Oméga est légèrement faux. Ils voient bien la piste à droite, mais l’instrument persiste à indiquer qu’elle doit être encore plus à gauche, vers l’est. Pour Yvon, tout paraît normal, mais pour Christopher, qui n’a jamais volé avec ce système de radionavigation, il est clair qu’il ne peut prêter aucune confiance à cet instrument « moderne ». Il préfère voir de ses yeux les pistes, rivières, villages qu’il connaît, et quand il ne les voit pas, il préfère ne pas voler. Ils poursuivent leur vol vers El Meiram en suivant, pour Yvon l’Oméga et pour Christopher, le chemin de fer qu’il distingue en bas. En trois heures trente ils effectuent le trajet Khartoum-El Meiram. Il est difficile à Christopher d’expliquer à Yvon qu’avec Mohamed, Pierrette et Nathalie, ils ont passé une bonne semaine pour couvrir la même distance quand ils ont ouvert cette mission. Il lui est encore plus difficile de lui faire entendre que MSF a fait construire la piste d’El Meiram. Il ne lui parle pas de la route. La culture des airs et celle de la terre sont décidément deux mondes à part. Les pilotes et les anges volent, mais les Terriens ne volent que dans leurs rêves. Ils repartent pour Aweil, si près, mais si loin. L’Oméga indique une position encore plus éloignée que celle qu’estime Christopher, de son humble avis. Mais Yvon est pilote et de ce fait, seul maître à bord. Christopher voit les toits de la ville, dont un, en tôles ondulées, étincelle au soleil. Ils poursuivent leur route jusqu’au moment où Yvon dit « fichu Oméga ». L’avion vire sur son aile gauche entamant la descente en spirales sur Aweil.

Ils ont juste le temps de saluer l’équipe et d’honorer les autorités comme d’habitude, avant de repartir pour Tambora et l’accueil de Jean-François et Véronique. La boucle est finalement bouclée. MSF et ASF unissent leurs actions. Sous les auspices des ailes de F-OGSM, avec Jean-François et Véronique, la bière fraîche de la brasserie d’Isiro scelle l’union des deux ONG. L’ambre liquide est partagée à l’ombre de la mission de Tambora. »


[1] Bernard Chauvreau. Pilotes sans frontières Trente ans de vols humanitaires. Édition France Empire. 1999. p 72.

[2] Ibidem. p 76

[3] Ibidem. p 73.

[4] Ibidem. p 74.

[5] Système de radionavigation aérienne et maritime avant le GPS. Il pesait une quarantaine de kilogrammes.