« La stratégie militaire de Kadhafi s’appuie sur les bases aéroterrestres et le pivot central est Ouadi Doum. Le site a été pressenti par les ingénieurs militaires est-allemands venus prospecter au centre de la région du Nord-Tchad. À 150 km au nord-est de Faya-Largeau, dans le haut Borkou, en plein désert saharien, l’endroit est parfait pour une grande base aérienne sur laquelle s’appuiera la stratégie libyenne. À l’arrière du « front », elle assurera la couverture aérienne de la préfecture du BET, ville natale de Habré, qui ne manquera pas d’être l’objectif principal du Toubou Daza dans sa reconquête du Nord-Tchad. La base doit permettre les missions aériennes tactiques sur N’Djamena et sur le sud sans ravitaillement en l’air, en maintenant tout le territoire tchadien à sa portée. Le lieu, central, est idéal pour la construction de toutes pièces d’une base aérienne. Il n’y a rien à Ouadi Doum, si ce n’est une petite mare permanente autorisant une maigre végétation, et le vent du désert, venant d’au-delà des Erdis et de Maaten Es-Sarra. Entre Ounianga et Faya, le site choisi par les Libyens pour la grande base aérienne est soumis en permanence au vent du nord-est chargé de sable.

Ce vent constant et souvent violent traverse la vaste zone désertique du Borkou. L’harmattan s’est levé dans le désert libyque et soulève continuellement des brumes sèches faites de la poussière du désert. Ces fines particules parcourent le plateau de Jef Jef, où elles ravinent la roche gréseuse des Erdis, se chargeant toujours plus de sable. Elles émiettent et cisèlent les crêtes de ces inselbergs, taraudent les escarpements où la roche est plus tendre ; et le vent du nord-est, en taillant les massifs escarpés, arrache encore de la poussière de silice. Le vent de Libye laisse derrière lui les derniers rochers dressés au-dessus de la plaine, isolés au sommet de leurs buttes d’éboulis, noyés dans l’immensité sableuse du plateau, pour descendre vers le sud-ouest. Les vents de sable suivent le couloir entre Tibesti et Ennedi, balayant les sols de leurs turbulences et ramassant continuellement de leurs incessants chasse-sable la poussière du désert. Les restes de leur érosion sont pulvérisés sur Ouadi Doum, puis déferlent sur Faya. Quittant le couloir de Jef Jef, ils viennent se répandre en barkhanes et en dunes formant l’Erg du Djourab.

Les ingénieurs libyens ont fait de Ouadi Doum une forteresse retranchée dont les infrastructures sont enfouies dans le sable, à l’abri du vent. Ils ont construit la base de toutes pièces avec l’aide des Allemands de l’est, notamment pour ce qui est des plaques métalliques en aluminium de la piste. Celle-ci, terminée en 1985, mesure 3 800 mètres de long, 40 de large et fait de Ouadi Doum le premier aérodrome du pays. Les travaux ont accéléré après le retrait de MANTA et la base est annoncée opérationnelle en décembre 1985. Équipée de ses radars et de sa défense antiaérienne, elle est servie par 3 000 hommes de l’armée régulière[1].

L’opex Épervier est lancée par ce retentissant raid aérien français sur la base de Ouadi Doum, le 16 février 1986. La longue piste est mise hors d’usage par le bombardement de l’opération Trionyx. Les onze Jaguar, escortés de leurs quatre Mirage F1 en provenance de Bangui, en RCA, ont largué leurs munitions anti-piste avec succès, rendant la base inopérationnelle. En riposte, la Libye frappe le lendemain l’aéroport de N’Djamena. Un Tupolev 22 largue quatre bombes sur le terrain, mettant en évidence les carences de la défense antiaérienne tchadienne. Le défaut sera rectifié par la mise en place d’une batterie de tirs sol-air Hawk française, assurant 24 heures sur 24 la défense de la plateforme de la capitale tchadienne. »


[1] Florent Sené. Raids dans le Sahara central. p 247.