Voici le discours que j’ai prononcé à Chârost, le 15 octobre 2022, lors de la remise de mon livre à la municipalité et à tous les Chârostais.
Monsieur le Maire,
Monsieur Balon,
Mesdames, messieurs
Chers amis
D’abord, c’est un grand plaisir d’être avec vous aujourd’hui à l’occasion de cette présentation de mon livre Malim Une histoire française. C’est un grand plaisir et aussi une grande émotion.
La dernière fois où j’ai pris publiquement la parole au sujet de l’attentat d’Aweil, c’était le 19 septembre 2019, lors de l’Hommage national au victimes du terrorisme. A l’époque, l’hommage national était organisé par les associations de victimes. Il y avait la FENVAC, la fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, et l’AfVT, l’association française des victimes du terrorisme. C’était les associations de victimes qui organisaient l’hommage national. C’était avant qu’Emanuel Macron n’instaure la Journée d’hommage national aux victimes du terrorisme où il n’y a plus de prise de parole de victimes. C’était donc la dernière fois qu’il y avait des prises de parole de victimes. J’avais donc pris la parole.
C’est guillaume Denoix de Saint Marc, qui est porte-parole de l’AfVT, qui m’avait dit en 2017 : « Dans deux ans, ce sera les trente ans, tu prendras la parole. »
Bon, très bien. Bel exercice.
Lors de cette prise de parole, j’avais d’abord remercié Guillaume pour avoir sollicité mon témoignage à l’occasion de ce dernier hommage national aux victimes du terrorisme du 19 septembre.
J’avais donc évoqué la mémoire de Jean-Paul, médecin, parti au Soudan, en mission humanitaire avec MSF le 12 octobre 1989. Lors de cette prise de parole, j’avais rappelé le contexte africain, politique et terroriste de l’époque. J’avais rappelé qu’à peine un mois plus tôt, l’attentat du DC 10 avait suivi de quinze jours la signature du compromis d’Alger qui anéantissait toutes possibilités d’un règlement bilatéral du différend territorial entre Tripoli et N’Djamena sur la question de la bande d’Aozou dans lequel la France aurait pu jouer un éventuel rôle arbitral. J’avais rappelé également que le coup d’Etat d’Omar El Bechir du 30 juin avait préservé l’accord militaire entre Khartoum et Tripoli.
On ne savait pas encore que le prochain chef de l’Etat tchadien serait Idriss Déby, son ascension devait se faire dans le plus grand secret. Il avait fait son action du 1er avril sept mois plus tôt et était au Darfour, la province de l’est soudanais frontalière avec le Tchad. Il regroupait autour de lui les forces politico-militaires du mouvement qui allaient bientôt devenir le MPS, Mouvement patriotique du salut.
MSF notait qu’il n’y avait jamais eu, dans la région, un tel niveau d’activité guerrière. Au Soudan, la rébellion de John Garang luttait contre la politique islamique de Khartoum depuis 1983. Le conflit sud-soudanais avait pourtant failli trouver son issu en mars 1989 mais Omar El Bechir avait renversé le régime de Sadek El Mahdi le 30 juin anéantissant les conditions de la paix pour le sud et changeant la donne géopolitique de la région.
Lors de cet hommage, j’avais donné la parole à Jean-Paul à travers une des dernières lettres que nous avons reçues de lui. Il s’adressait alors à sa sœur Nicole qui est musicienne. Cette lettre est dans le livre, avec toutes les autres.
Il écrivait le 12 novembre à Nicole :
Nicolettine,
Ça sonne comme une friandise.
Continue toute œuvre si simple modeste soit elle. Je serai fière de toi. Et sincèrement tes compositions sont valables. Va jusqu’au bout de ton doute. Si quelque chose ne te plaît pas, ne lâche pas prise tant que tu n’as pas le sentiment que le résultat a atteint sa maturité, sa plénitude. Pour chaque chose, j’essaie aussi de le faire. Chaque fois qu’un échec, une erreur me pose un problème ou ma responsabilité est engagée, je me trouve toujours devant ce constat. Tu n’es pas allé assez loin. Tu n’as pas assez exploité ce sentiment que l’on ressent parfois dans le déroulement d’un événement quelconque. Le doute.
Il faut exploiter le doute. Lui aboutit à la réalisation de choses pleines, sans ambiguïté. Lui est le moteur du travail. Ce doute on le nomme aussi désir de bien faire ou autre chose. Le fait est là, il pousse au travail, immanquablement.
Ici la situation politique se bloque terriblement. Hier, des civils(20) ont explosés sur une mine antichar. Tu verras avec Pascale pour les détails. La guerre devient plus intense, le gouvernement nous mène la vie dure. On ne sait pas vraiment ce qui se passera demain. Nous ne risquons rien en théorie. Il a fallu des blessés graves pour que l’autorisation de vol arrive. Et l’avion repart demain pour le sud. Puis Khartoum. D’où la lettre partira par le prochain vol de Paris.
(Ne fais pas trop de frais sur la voiture, essaie de voir avec notre père)
J’espère que tu as pu voir la maison de Bretagne. La saison n’est plus vraiment propice. Au printemps ce sera bien. On va encore faire un beau boulot pour la transformer en havre de paix. Le travail ne me fait pas peur, surtout depuis ce que je vois depuis un mois. Les petits problèmes de notre contrée civilisée sont des balivernes d’enfants gâtés. A 20-30 et plus années de ma vie on peut bousculer des montagnes. Je travaille avec des gens qui ont vécu sous les bombes, les roquettes, au Liban, au Tchad, au Nicaragua. Ce sont des âmes sensibles mais solides. On sait rire, même dans le pire des cas. Bien sûr nous ne sommes pas touchés personnellement. Mais les problèmes sont énormes. J’étais très heureux de recevoir ta lettre. Ce n’est pas une parole de politesse.
C’est incroyable l’importance que prend ce genre de détail. Les journaux, ce qui se passe en France. Savoir que les gens bougent, travaillent, font la révolution dans la vie. L’hôpital d’Amboise m’a aussi adressé du courrier et les parents. Tu peux m’écrire si tu veux. Mais les liaisons sont aléatoires. Il faut faire comme si tout marchait normalement (C’est ce que j’ai appris ici) je t’embrasse tendrement ma chère sœur. Merci pour le stilnox et la photo. Mille Bises.
Il écrivait le même jour à nos parents :
Puissiez-vous comprendre combien il est intolérable de voir la misère du monde naitre de la stupidité des hommes.
L’avion qui ramenait mon frère d’Aweil à Khartoum a été abattu par un missile le 21 décembre 1989.
A travers ses lettres, la parole de mon frère reste parmi nous et ô combien présente. Et je rappelais lors de cet hommage national que cet attentat faisait maintenant partie d’une histoire qu’il nous restait à écrire.
Je m’étais alors adressé aux victimes du terrorisme autant qu’aux représentants de l’Etat.
J’avais d’abord cité la parole du chef de l’Etat de l’époque lorsqu’il évoquait les guerres coloniales de la IV République, dans son texte de 1964. « Dans le silence du Pouvoir, l’échec de la France apparu comme un défi aux sacrifices des morts, à la peine des vivants. De l’héroïsme dissipé, presque moqué, de nos soldats surgirent la colère puis la révolte. Fallait-il attendre autre chose ? On ne gaspille pas impunément le prix du sang. »
A nos représentants de l’Etat j’avais rappelé une chose : les mandats passent, les victimes restent.
Aussi je lançais un appel aux victimes du terrorisme.
Nous sommes les dépositaires du sens de l’histoire leur avais-je dit. L’histoire ne s’écrira plus par les universitaires, les chercheurs du CNRS, les diplomates ou les hommes politiques. Elle s’écrira par les victimes du terrorisme, les victimes de ces actes que les Anglo-saxons appellent « politicals violences » des actes de violence à caractère politique.
L’écriture de cette histoire est un immense chantier, un travail colossal, avais-je dit, qu’il nous faudra écrire ensemble.
Il nous faudra pour cela interroger sans relâche tous les organes de cette communauté nationale. La justice, les représentants de l’Etat, les médias et traquer le terrorisme partout où il se cache.
C’est un long chemin, avais-je dit, mais il m’est apparu qu’il est pour nous la seule voie de salut, la seule à la hauteur de notre devoir de mémoire, la seule pour honorer la mémoire de nos morts.
Je soulignais : « Ils ont droit à la mémoire et cette mémoire particulière croise ô combien la mémoire collective .
Notre devoir de mémoire est au service de notre vivre ensemble, de notre communauté nationale et de son droit de savoir. Pour aller ensemble vers un avenir commun, nous devons ensemble apprendre quel est notre passé. »
Voila ce que je disais lors de ma prise de parole le 19 septembre 2019.
Aujourd’hui, le 15 octobre 2022, je suis parmi vous pour diffuser cette mémoire, la transmettre et je suis profondément heureux de commencer cette diffusion à Charost auprès de ceux qui ont connu Jean-Paul, ceux qui connaissent notre famille, ceux qui nous ont soutenu malgré toute l’incompréhension du crime, ceux qui ont connu toutes les répercussions dans notre famille. La mairie qui fut le siège du comité de soutien Jean-Paul Bescond que nous avons créé en 1991, nos voisins qui nous ont aidé à travers ce comité à récolter des témoignages des gens qui ont connu Jean-Paul. Je suis heureux d’évoquer mon frère avec vous. Chacun a un souvenir. On en parlait tout à l’heure. Josiane me disait se souvenir de Jean-Paul, à l’école primaire de Charost, un enfant un peu timide mais bon élève. Marie-Anne m’a donné une photo ou elle est avec son frère, Laurent à la fête du cheval, à Neuvy, en 65, avec Jean-Paul. Il avait 9 ans. La photo est là. Les souvenirs de ses amis du lycée, de la fac, que nous avons récolté en 91, sont consignés dans ce livre, les miens également, ainsi que mes documents, les démarches de ma famille, ce que l’on nous a dit au Quai d’Orsay, à l’Elysée après l’attentat, le témoignage des témoins. Se trouve aussi tout mon parcours, jusqu’à ma compréhension de cette affaire en 2014. Dans ce parcours, il y a la pièce de théâtre Exécuteur 14 que j’ai joué à Charost en 2010. Je me souviens de Monsieur Balon, aux côtés de ma mère dans la salle polyvalente. Cette représentation de la pièce d’Adel Hakim a été une étape dans mon parcours. Et c’est aussi à ce moment-là que la plainte pour acte de terrorisme a été déposée au parquet de Paris. C’est à la suite des représentations d’Avignon de la pièce que j’ai adhéré à l’AfVT. Et c’est ainsi que Christopher Carr a pu me retrouver, m’apportant encore de nombreux éléments.
Tous ces éléments sont consignés dans mon livre et maintenant je vous invite à les partager et à les transmettre. Et je suis très heureux, Monsieur le maire, qu’un exemplaire de mon livre soit maintenant disponible pour tous à Charost.