« Chârost est un village au cœur de la France, entre Bourges et Châteauroux, sur la route nationale 151, là où elle croise l’antique voie romaine reliant Chateaumeillant à Vierzon en enjambant l’Arnon, paisible cours d’eau qui, quelques kilomètres en aval, arrose les vignes des côteaux de Reuilly. C’est la Champagne berrichonne, riche et généreuse, le pays de mon enfance. On y voit chaque année la brise de mai chahuter des hectares et des hectares de blé en herbe, qui, deux mois plus tard, ploient sous le poids de leurs lourds trésors blonds et grenus. Les caresses du vent chaud de juillet les bercent alors d’une houle plus douce et murmurent les promesses d’une moisson abondante. Puis l’immensité se couvre des parfums de l’été. L’odeur âcre et sèche de l’orge d’hiver ne dure que quelques jours. Elle précède de peu celle du blé mûr, plus ronde et goûteuse. On y devine déjà le goût du pain, de la fleur de froment. L’odeur est encore brute et corsée, sauvage et délicieuse. Le blé se donne alors à la moisson et les senteurs se mêlent à celle de la terre chaude, du son et des chaumes. Bientôt, les andains de paille annonceront les premiers sillons qui découvriront les ocres bruns d’une terre souvent grasse bien que peu épaisse, laissant remonter en touches blanches les pierres calcaires. Adolescent, j’ai sillonné à vélo les routes de cet écrin de fécondité, entre la forêt humide de Sologne au nord et les prairies bordées de bouchures du Boichaut au sud. J’ai, tout comme mon frère et mes sœurs, suivi le chemin de l’école, du collège et du lycée, dans ce pays où l’on cultive l’art de vivre conjugué au bon sens. On y trouve également une activité industrielle. Dans mon enfance, elle est mécanique, notamment chârostaise et de précision. Mes parents habitaient non loin de l’usine Sandvik, anciennement Précitube, qui fabrique des tubes de précision. Plus tard, sur la route du lycée, je la découvrirai berruyère, où elle est aussi de défense et d’armement. MDBA[1], à Bourges, est à la pointe du secteur des missiles et de leurs contre-mesures. L’armée a aussi de nombreuses activités dans cette ville de mon adolescence, les écoles militaires, la direction générale de l’Armement, DGA techniques terrestres et son champ de tirs et d’essais, le polygone d’Avord, 30 km de long et 6 de large, de quoi mettre au point tout l’armement dont s’équipe notre défense nationale. Cette activité, que je découvrais alors discrète à Bourges, est aussi secrète dans l’Indre. Adolescent, j’étais intrigué par d’immenses pylônes, innombrables, reliés entre eux par des filins, en pleins champs, non loin du Blanc. Des antennes, manifestement. J’appris plus tard qu’il s‘agit de la base de Rosnay, base de la Marine nationale construite dans les années 60 conformément aux orientations militaires du général de Gaulle : une antenne de deux kilomètres de diamètre, émettant à très basse fréquence les ordres et informations aux sous-marins de la force océanique stratégique française naviguant aux quatre coins du monde. »
[1] A l’époque Aérospatiale.