Dans la préface de son dictionnaire amoureux de la géopolitique, Hubert Védrine dit avoir vécu non pas la fin de l’histoire avec l’effondrement de l’URSS mais sa remise en branle. L’effondrement du mur de Berlin aurait accéléré l’histoire. Elle reste cependant à écrire. Il est aujourd’hui temps de reprendre son examen et de tourner la page du mitterrandisme.

Au micro d’Europe 1, l’auteur se souvient de son service aux côtés du président.

« Le simple fait de discuter avec lui et de prendre un café, on avait l’impression de faire partie d’une sorte de roman, d’un projet, voire d’un complot. C’était extraordinaire ! »

Chaque entrevue du président était ainsi l’occasion de soumettre son interlocuteur à ce petit décalage avec la réalité. Le chef de l’État utilisait pour cela le ton de la confidence. Le procédé est bien connu, il a pour effet de plonger l’interlocuteur dans la perplexité, dans le doute. Le « sorcier du genre » exerçait « une aimantation », écrit Hubert Védrine. En donnant l’impression qu’un continent de secrets se cachait derrière ses propos, le président était maître de la situation. L’auditeur ne connaissant pas le contenu de l’énigme, il ne pouvait que faire des suppositions. Les arrière-pensées étaient équivoques, on n’osait imaginer des coulisses occultes et indéfinissables et les secrets de l’intime étaient habilement suggérés, en insistant juste un peu sur la nécessité du secret. Le président pouvait ainsi poursuivre l’écriture de sa fiction, usant du prestige de sa fonction pour justifier son silence. De cette façon, Mitterrand remportait auprès des naïfs la conviction de la hauteur de son dessein présidentiel. Son projet devait s’inscrire dans l’histoire universelle et remporter l’adhésion.

À l’entrée Rwanda, Hubert Védrine rappelle l’année 1990. Le FPR pénètre sur le territoire rwandais le 1er octobre 1990, en provenance d’Ouganda. L’ancien porte-parole de l’Élysée de 1990 souligne que cet événement eut lieu 3 mois après le sommet de La Baule et le fameux discours de Mitterrand, le 20 juin 1990. Les sommets franco-africains avaient alors un indéniable succès, rassemblant toujours plus de délégations au cours de ces années. On disait même qu’ils concurrençaient l’OUA. Le président ougandais Museveni, qui sera élu président en exercice de l’Organisation africaine le 9 juillet 90 à Addis-Abeba, était lui-même présent à La Baule. Sur le chemin du retour à Kampala, il s’était arrêté à Tripoli (Le Monde 11 juillet 90). De quoi avait-il parlé avec Kadhafi ? De l’état de l’Afrique, certainement. Et de la France, sans doute. On avait vu, au moment de la réélection de Mitterrand, l’OUA se féliciter du « cadeau à l’Afrique » de Kadhafi, et le Français disait promouvoir le droit international. Mais les conflits africains étaient toujours plus violents. Au Soudan, voisin du nord de l’Ouganda, les combats du SPLA de John Garang avaient repris au début de l’année, après l’accalmie obtenue l’année précédente par l’ONU. On avait aussi vu en 1989 l’action du 1er avril d’Idriss Déby, quelques jours après la formation du gouvernement soudanais du 27 mars, remettant en cause l’accord militaire entre Khartoum et Tripoli. Puis le coups d’État d’Omar el Bechir, deux jours avant la date prévue pour cette abrogation, avait rapproché, encore davantage, le Soudan et la Libye. Le règlement du différend territorial entre Tripoli et N’Djamena, qui trouva son issue par la signature du compromis d’Alger le 31 août 89 dut être évoqué. Peut-être même l’attentat du DC 10 et le suivi, par la DGSE, de la rébellion d’Idris Déby. Celui-ci prendra le pouvoir au Tchad 5 mois après le discours de La Baule, en décembre 1990.

Les conversations entre Kadhafi et Museveni n’ont, à ma connaissance, pas laissé de traces, mais le FPR pénétra au Rwanda 3 mois plus tard.