L’enquête évoquée par tous après l’attentat et souhaitée sous l’égide de l’OACI à ‘ambassade de Khartoum a le plus grand mal à se mettre en place. Après mes appels à la représentation française au siège de l’OACI à Montréal et au bureau de Neuilly-sur-Seine mettant en évidence les différents moyens de pression pouvant être employés sur le gouvernement soudanais de Bechir afin d’obtenir leur participation à cette enquête de l’OACI, j’en avais informé MSF et me retournai vers le Quai d’Orsay. La conversation que j’eus avec mon correspondant du MAE, Mlle Pagnier, est retranscrite aux pages 583 à 586 de Malim Une histoire française. Le fichier mp3 permettra au lecteur d’en apprécier la fidélité.
« Mlle Pagnier m’apporte les précisions. Laugel attendait le retour du ministre des Affaires étrangères pour s’entretenir avec lui. La dernière fois, au mois de janvier, il s’était entretenu au niveau secrétaire général, directeur Europe, mais pas au niveau du ministre des Affaires étrangères. Depuis, il a fait une nouvelle démarche et Mlle Pagnier pense que le docteur Vivarié a dû me faire état de la première démarche, mais pas de celle auprès du ministre des Affaires étrangères, pour une raison très simple, c’est qu’elle n’a pas encore eu lieu, et elle attend toujours un compte rendu de cette visite.
Par ailleurs, elle m’interroge sur ma conversation avec l’OACI:
— Vous avez eu Montréal aussi, oui ? Qu’est-ce qu’on vous a dit à Montréal ? C’est ça qui m’intéresse beaucoup.
Je lui rapporte mon entretien avec M. Costantini. Elle me dit que l’OACI est suivie au quai d’Orsay par la Direction des Nations unies et que la Direction politique des Affaires africaines et malgaches est en relation directe avec elle, mais que c’est cette Direction qui s’occupe précisément de cette organisation.
Je lui relate le constat que nous avions fait avec M. Costantini sur le fait que le Soudan n’avait pas délivré de rapport d’enquête.
— Non, pas encore, et c’est la raison pour laquelle le représentant de l’OACI au Caire doit faire une démarche, des démarches officieuses, puis officielles, enfin de plus en plus pressantes, jusqu’à ce qu’ils obtiennent quelque chose.
— Oui, bon, mais là, il n’y a toujours rien.
— Non, toujours rien, vous aussi, on vous a confirmé qu’il n’y avait rien?
— On m’a confirmé qu’il n’y avait rien.
Il n’y a rien depuis janvier, depuis cette première démarche qui a été faite.
— Oui, il a dû y en avoir une autre après l’entretien avec M. Kotaite, en février, me dit-elle.
Je lui précise que M. Costantini m’a dit que le Soudan n’a toujours pas répondu. Ça fait donc plus d’un mois. Mon interlocuteur de Montréal m’a dit que l’OACI n’a aucun pouvoir pour obliger le Soudan à donner ce rapport d’enquête. Donc, il ne peut rien se passer et il n’allait rien se passer.
— Hm hm. Ben nous on est obligés d’attendre que les cheminements des procédures soient terminés, me répond-elle. Ce qui est idiot. Ça fait perdre du temps, hein, je conçois très bien. On est obligés de suivre toutes les étapes, et c’est également du temps, c’est ça le problème.
— Oui, ce qu’il m’a dit aussi, c’est qu’il m’a rappelé des cas où il y a eu des accidents d’avions litigieux. Il m’a dit qu’on pouvait aussi saisir le Conseil de l’OACI pour que…
— Mais ça, c’est prévu, mais il faut d’abord… Ça, ça fait partie de notre plan d’action, mais il faut d’abord que toutes les étapes initiales aient abouti à un échec.
— Un échec…
— Je vous ferais remarquer que maintenant, on commence à en avoir un certain nombre. Donc on va y arriver, mais c’est vrai que pour vous ça paraît d’une lenteur absolument désespérante.
— Ben oui…
— Non non, mais je me mets à votre place, hein, mais vous me mettez entre le marteau et l’enclume. Parce que, je me mets à votre place, mais nous, nous sommes obligés de suivre les étapes.
— Hm hm, bien sûr, bon. Il disait que c’était les États qui interpellaient le Conseil de l’OACI et demandaient au Conseil d’examiner tel point, tel point, tel point, auquel le Soudan a dérogé.
— Oui.
— Donc là, il faut voir ce qu’on reproche au Soudan, hein, à quel titre on interpelle le Conseil de l’OACI.
— Hm ben, ça on a de bonnes idées sur la question.
— Ça serait au titre de l’annexe 13?
— Oui.
— Oui ?
— Oui.
— Bon. Il m’a parlé aussi de l’article 84 de la Convention de Chicago qui dit le règlement des différends avec les États.
— Oui… Je dois avoir une note de la Direction des Nations unies sur tout le problème, parce que tout ça avait été prévu avant l’entretien avec le président du Conseil de l’OACI, tout ça avait été abordé en cours de… de discussions.
— Cet article dit: si un désaccord entre deux ou plusieurs États contractants à propos de l’application ou l’interprétation de la présente convention ou de l’une de ses annexes, on peut, si un désaccord ne peut être réglé par voie de négociation… donc, c’est ça ?
— Oui, c’est ça. Et pour l’instant on en est encore au stade des négociations.
— Il y a donc aussi cet article.
— Oui, je ne me souviens plus du numéro de l’article, mais je sais qu’il a été évoqué par notre Direction des Nations unies. Oui… Ben, tout ça nous le suivons, nous en sommes pour l’instant à l’étape des négociations. Et nous avons l’intention en effet de passer à l’application des autres articles. Mais je vous dis, le seul ennui, c’est que nous sommes tenus par les procédures, j’allais dire hiérarchiques… enfin successives.
— Oui, et ce qui est aussi embêtant, c’est que, bon, ben, il n’y a pas de réponse négative par le Soudan, ce qui permettrait d’avancer, il y a absence de réponse…
— Oui, voilà, exactement, c’est ça qui bloque. Enfin c’est ça qui fait perdre du temps, si vous voulez. Parce qu’au bout d’un certain délai, une absence de réponse équivaut à une réponse négative. Mais évidemment ça fait une lenteur.
— Faut savoir à partir de combien de temps ça peut être considéré comme
une réponse négative.
— Ben… écoutez, heu… Vous inquiétez pas. Faut pas des années pour que ça soit négatif. Ça marche par semaines et par mois, quand même, hein. Ne vous inquiétez quand même pas, pas à ce point-là.
— Hm, bon, d’accord.
— Mais enfin, ça m’intéresse, ce que vous venez de me dire, parce que ça confirme ce que nous, nous avions, et bon, ça m’intéresse de savoir où on en était avec l’OACI elle-même, puisque j’avais personnellement moins d’informations.
— Donc eux, ils attendent toujours un rapport du Soudan.
— Bon, après, je sais qu’ils doivent faire une nouvelle démarche, donc elle ne saurait tarder maintenant, hein, je vais…
— Une démarche pour demander un rapport ?
— Ha oui, pour redemander un rapport, oui.
— Oui, hm, une démarche plus pressante.
— Ha oui. De toutes façons, faut se faire de plus en plus pressants, sinon, si vous faites une démarche et que vous attendez, vous risquez d’attendre longtemps, donc démarche après démarche, c’est fastidieux pour tout le monde, mais c’est la seule façon d’arriver à savoir où on en est.
— Oui, je pensais qu’on avait demandé à l’OACI de faire une enquête. Mais en fait, c’est pas ça, c’est demander le rapport technique au titre de l’annexe 13.
— Bon, ben, écoutez, ça vous prouve que nous nous occupons tous de cette affaire, même si vous, vous avez l’impression qu’il n’y a pas tellement de, de réponses.
— Ben, là, on attend le résultat.
— Oui, et le compte rendu de M. Laugel.
— Bon, je ne vais pas vous retenir.
— Ben, je vous en prie, non non, mais je suis là pour vous répondre, quand même. Bon, écoutez, moi, dès que j’ai quelque chose de mon côté, je vous rappelle, de toutes façons, on avait convenu fin de la semaine, début de la semaine prochaine, hein, donc je n’ai pas oublié, et puis, nous restons en relation.
— Oui, c’était cette précision… de, sur ce que je pensais… que c’était une demande d’enquête. En fait, ce n’est pas une demande d’enquête, c’est une demande de rapport technique au titre de l’annexe 13.
— Oui.
— Donc là, on est bien d’accord là-dessus.
— On est bien d’accord.
— Ben, je vous remercie.
— Je vous en prie, bonne soirée.
— Au revoir.
— Au revoir monsieur.
La conversation avec Mlle Pagnier me paraît pour le moins floue et les mots
ne semblent pas avoir le même sens pour tout le monde. Suis-je en prise avec un théâtre d’ombres ? Le sentiment d’étrangeté que j’éprouvais depuis l’attentat ne fait que se renforcer. Je commence à douter qu’il y ait une réelle volonté de nos institutions de savoir ce qui s’est passé à Aweil. Depuis trois mois que la France a été frappée au cœur de son action humanitaire, les dirigeants de ce pays font le mort. Que dire ? Comment peut-on laisser la vie de mon frère entre parenthèses ? Je pense au devoir d’ingérence si cher à Kouchner. »