Mon correspondant à la Direction des Nations Unies au Quai d’Orsay était M. Delacroix. Je retrancrit ma conversation du 26 juillet avec lui aux pages 664 à 666 de Malim Une histoire française.

« Je rappelle M. Delacroix le 26 juillet comme convenu, pour faire le point de
cette enquête de l’OACI.
— Vous me prenez à deux jours de mon départ, mais vous faites bien de
m’appeler. J’ai vu à mon retour… attendez. Où j’ai gardé ça sous le coude. Il y a eu un échange de télégrammes entre Montréal et Khartoum… Vous avez été en liaison avec mes collègues de la Direction Afrique ou non, non?
— Oui, heu, la semaine dernière.
—Mlle Pagnier ?
— Oui, j’ai eu Mlle Pagnier la semaine dernière.
— Elle vous a donné lecture de cet échange qui date du 20 juillet ou non?
— Non, non, c’est-à-dire elle m’a dit qu’elle avait envoyé un télégramme à
Montréal pour demander s’ils avaient été contactés par Khartoum.
— Ah oui, ben, je l’ai pas vu celui-là. Je l’ai pas vu celui-là. Il y avait un
télégramme de Khartoum du 20 juillet. Je vais vous le lire succinctement. De notre ambassadeur à Khartoum en disant: «Malgré l’urgence je n’ai pu prendre contact avec les interlocuteurs habilités pour traiter de ce problème que tardivement. M. Abdou Adj, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, était en voyage et s’est rendu en Libye. J’ai donc vu le premier le lundi 16 juillet et le second à son retour. Tout en rappelant à M. Abdou Adj notre attachement à ce que tout soit mis en œuvre pour connaître les circonstances de la destruction de l’avion de Médecins sans frontières, afin notamment de répondre aux préoccupations des familles des victimes, je lui ai fait tenir la substance du texte de la note soumise par M. Hassad Kotaite communiquée précédemment…» Donc il y a une note de Kotaite, le président de l’OACI, aux autorités soudanaises. «Monsieur Adj, qui apparemment ignorait quelque peu les procédures d’enquêtes aériennes, m’a remercié et m’a indiqué qu’il allait s’inspirer de ces documents pour saisir l’OACI de manière officielle. Je lui ai rappelé l’urgence de la démarche. J’ai été reçu hier par le ministre des Affaires étrangères. Je lui ai indiqué que nous devions, dans l’intérêt bien compris du Soudan et de la France, aller jusqu’au bout de cette affaire. Je savais que c’était grâce à ses efforts personnels que nous étions parvenus à faire accepter par les autorités militaires le principe d’une enquête de l’OACI. Je l’ai remercié mais lui ai fait remarquer que la procédure n’avait toujours pas été engagée par le Soudan. Je lui ai alors remis le même texte en arabe que la note de M. Kotaite. Il a devant moi donné des ordres à ses services pour s’inspirer de ces indications et entamer une procédure. L’accueil réservé à ma double démarche a été bon. Je vous remercie vivement M. Henault — bon, ça c’est une note interne — de m’avoir permis de relancer cette affaire de manière concrète. Le département doit bien se rendre compte qu’au laxisme habituel de l’administration soudanaise s’ajoutent dans ce cas précis une réticence des militaires — bon, ça on s’en doute — pour accepter une enquête qui les gêne, et l’incompétence des services qui n’a pas de précédent dans l’histoire du Soudan. Je vais donc, à partir de la semaine prochaine, relancer simultanément mes deux interlocuteurs pour obtenir une démarche positive du gouvernement soudanais.»
— Donc ça c’était en date du…
— Du 20 juillet. Alors il y avait eu une précision de l’OACI en disant «il
paraît utile de signaler que la procédure ouverte au Soudan consiste à solliciter de l’OACI, de préférence par lettre au président du Conseil, son concours pour mener à bien l’enquête prescrite au titre de l’annexe 13 de la Convention de Chicago». Enfin, il précise les modalités.
— D’accord.
— Voilà. Enfin, ça ce n’est pas très ancien, ça remonte à…
— La semaine dernière…
— Oui, cinq, six jours, donc… Enfin vous voyez, on ne lâche pas le morceau,
notre ambassadeur, nos ambassadeurs, aussi bien à Khartoum qu’à Montréal, ont fait toutes les démarches requises.
— D’accord.
— Voilà, alors, bon, moi, je pars à Genève, je ne vais plus suivre le dossier
de l’OACI. Je vous conseille à l’avenir, enfin en ce qui concerne la suite de cette affaire à l’OACI puisqu’en ce qui concerne Khartoum, c’est plus du domaine de la Direction des Affaires africaines que du nôtre, je vous conseille de contacter M. Kuhn qui est mon sous-directeur et qui est au courant de cette affaire. Enfin, moins directement que moi, mais enfin, il pourra vous donner les éléments éventuellement.
— J’avais eu Mlle Le Fraper au début du mois aussi, elle avait eu le dossier
pendant votre absence.

— Oui, parce que je devais être en mission à Genève.

— Je lui avais donné mes coordonnées.

— Oui, mais enfin, vraiment, c’est Kuhn. Béatrice Le Fraper avait pris le
dossier peut-être parce qu’elle était la seule présente à ce moment-là, mais
enfin c’est Kuhn plus qu’elle.
— Sinon Mlle Pagnier m’avait dit qu’il avait été noté à l’examen du Conseil
de l’OACI l’examen de la convention de 71. C’est le Conseil de l’OACI qui se
réunit tous les trois mois, je crois ?
— Il ne se réunit pas tous les trois mois. Il se réunit trois fois par an pour des périodes chaque fois de trois mois, à peu près. Et donc il y a deux phases dans chaque session. Il y a une phase au niveau des Commissions et des Comités techniques et une phase au niveau du Conseil lui-même.
— Oui, parce qu’il avait été demandé de noter l’examen de la Convention de 71.
— Oui, enfin, mais ça, ça sera que… il reprend qu’au mois de septembre, le
Conseil.
— Il reprend qu’au mois de septembre…
— Oui, il ne fonctionne pas pendant le mois d’août.
— Donc là on ne sait pas si elle sera examinée, cette question.
— Non, ce sera éventuellement à l’ordre du jour de la prochaine session.
— Éventuellement à l’ordre du jour de la prochaine session, donc en
septembre
— En septembre.
— D’accord, et peut-être que les circonstances avec une enquête…
— Auront évolué
— Auront évolué et seront…
— Mais de toutes façons, moi je veux pas vous laisser trop d’illusions parce
que tout ça c’est quand même… on a…
— Avancé…
— Avec cette affaire, on a embêté le Soudan autant qu’on peut, ce qui est déjà une relative satisfaction pour vous, mais je ne sais pas si une enquête après un tel délai arrivera à des conclusions concrètes et décisives. C’est plus, vraiment sur un plan diplomatique, pour dire au Soudan: «Vous pouvez pas vous en tirer comme ça et surtout ne recommencez pas ce genre de chose parce que, on va vous mettre au ban de l’OACI»