Au mois de mars 1990, cherchant tous les recours possibles, je m’étais tourné vers la CEDH. Ne pouvant être saisi qu’après épuisement de tous les recours internes, il me fallu creuser les recours de l’OACI et la convention pour la répression des actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile de 1971 et son protocole additionnel. J’y trouvai des recours. La conversation que j’eus avec Mlle Pagnier le 28 mars est retranscrite aux pages 591 à 595 de Malim Une histoire française.

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« Je me dois d’évoquer ces recours avec mes interlocuteurs du quai d’Orsay.
J’appelle Mlle Pagnier le jour même. Elle n’est pas là et a l’obligeance de
me rappeler rapidement, me surprenant dans mes pensées prises entre les
conversations que j’avais eues avec la CEDH, l’OACI et le quai d’Orsay.
— Bonjour. Vous m’avez fait appeler. Là, je suis obligée de partir, alors je me permets de vous rappeler.
— Oui oui oui c’est ça…
—Vous ne pouvez pas parler…
— Heu si si si.
— Ha bon, d’accord, parce que…
— Si j’y suis.
— Vous êtes libre, ok.
— Oui, ben, je voulais vous parler pour savoir où c’en était… Si la démarche
de M. Laugel… S’il avait été…
— Eh bien, écoutez, M. Laugel a fait sa démarche, me répond-elle.
Elle enchaîne :
— Je sais que vous avez contacté l’OACI, parce que notre délégation nous a
informés que vous aviez contacté l’OACI, que normalement l’OACI…
— Montréal
— Montréal, oui
— Ha oui… à Montréal… oui…
— Normalement, l’OACI ne répond pas à des particuliers, et vous les avez
un peu troublés, mais enfin, je crois qu’ils vous ont répondu très gentiment,
hein. Vous n’avez pas dû avoir de problèmes, hein, de ce côté-là. Bon, vous
savez quels étaient nos, nos…, nous attendons donc un autre rapport, une autre expertise, et vous savez qu’après, nous recourrons aux articles que nous avons évoqués ensemble, hein. De la Convention de l’OACI.
— Oui.
— Vous vous souvenez…
— Oui oui oui…
— L’article 13 etc. Pour l’instant, nous en sommes que là, hein, donc nous
sommes obligés d’attendre une nouvelle réponse, nos interlocuteurs ont pris note de notre démarche et de ce que nous demandions, c’est tout, enfin, si vous voulez, on nous a pas renvoyés, on nous a pas dit zut vertement, mais j’attends autre chose.
Je ramène la conversation à M. Laugel et rappelle notre conversation du 13
mars. L’ambassadeur devait être reçu par le ministre des Affaires étrangères.
— C’est exact, me dit Mlle Pagnier. Alors ça va pas tarder parce que vous
savez que le ministre avait été absent, vous savez qu’il y a eu cette fusion, enfin ce projet d’union avec la Libye, donc le voyage en Libye, plus les voyages avec l’Égypte pour essayer de détendre l’atmosphère à la suite de ce projet d’union soudano-Libyen. Et vous savez qu’il y avait ce fameux projet de conférence internationale des donateurs pour les populations victimes de la famine et de la guerre, dans des régions touchées par la guerre au sud. Donc, le ministre n’a pas été libre immédiatement. Bon, la démarche a donc été faite, maintenant, il faut leur laisser un tout petit peu de temps avant que nous passions, heu, … De toutes façons, heu, nous avons déjà contacté l’OACI pour faire part de ce qui s’est passé, de façon à ce qu’ils soient déjà informés que les prochaines étapes risquent d’être demandées assez rapidement.
— Oui, alors M. Laugel n’a pas été reçu par le ministre des Affaires étrangères ?
— Si si si si il a été reçu.
— Et ce qu’il en ressort ?
— Ho ben, écoutez, quand vous êtes reçu à ce niveau-là, on vous écoute, on
en prend note, et on transmet aux autorités compétentes, c’est-à-dire que le
ministre des Affaires étrangères n’est qu’un intermédiaire pour transmettre au gouvernement. Et je pense qu’il en parlera à ses collègues, d’abord au Président lui-même, si c’est le Président lui-même qui dirige la politique. Il y a quand même un Conseil de gouvernement, ils en parleront à ce niveau-là. Ce n’est pas lui qui va ordonner de faire l’enquête, hein, il ne peut que transmettre aux personnes compétentes, c’est-à-dire à l’aviation, aux membres du Conseil de gouvernement, qui est chargé des problèmes d’aviation et de sécurité.
Mlle Pagnier m’assure qu’elle suit l’affaire.
— Nous pensons toujours à vous, et nous pensons toujours à cette affaire,
c’est une de nos affaires prioritaires, pour le Soudan, c’est la prioritaire pour
l’instant, me dit-elle.
J’évoque ensuite les Conventions de Chicago et de Montréal de 1971, et celle
du 24 février 1988 complémentaire à celle de 71 sur la répression des actes
illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile. Mlle Pagnier me dit qu’elle ne connaît pas cette Convention qui relève de la Direction des Nations unies au quai d’Orsay. Son collègue directeur à la Direction des Nations unies n’est pas son interlocuteur direct. Elle traite directement avec le grand directeur. Aussi va-t-elle me donner son nom exact pour que je puisse le joindre. Mais c’est la Direction des Nations unies et des organisations internationales qui s’occupent de ça.
— Si vous voulez, je sers uniquement, à la Direction politique, d’agent de liaison et d’incitation auprès de chacune des Directions plus précisément compétentes. Si c’est une affaire économique, affaires économiques, si c’est Nations unies, j’actionne la Direction des Nations unies et des organisations internationales, voilà un petit peu mon rôle, et dire si sur le plan politique, il faut absolument poursuivre ou non. Il est bien évident que la volonté politique existe.
— Oui parce que là vous ne connaissez pas le document donc…
— Non, moi, je ne connais pas le document, hein, c’est la personne directement chargée de l’OACI à la Direction des Nations unies qui connaît tous les textes.
— D’accord.
— Écoutez, donnez-moi quand même la référence pour ma gouverne
personnelle, ça m’intéresse de la récupérer. Désolée de vous ennuyer comme ça.
— Non non, pas du tout. C’est-à-dire, je peux vous l’envoyer, si vous voulez,
enfin en…
— Eh bien, écoutez, on doit l’avoir chez nous, c’est peut-être pas la peine
que vous…fassiez une photocopie, que vous l’envoyiez par la poste… vous, ça va vous causer beaucoup de souci, alors que moi, je n’ai qu’un étage à monter… hein,…
— Bon, il s’agit donc de la Convention pour la répression d’actes illicites…
— Répression d’actes illicites.
— Dirigés contre la sécurité de l’aviation civile.
— D’accord.
— Et c’est le document 8970.
— D’accord, ben écoutez je vais de toutes façons me la procurer.
— Alors bon c’est en anglais et en français et ça comporte 16 articles.
— D’accord.
— Enfin ce n’est pas tellement évident à interpréter.
— Non, moi j’avais justement saisi la Direction des Nations unies du
problème et c’était eux qui m’avaient extrait les articles dont nous avons parlé l’autre jour. Et, le problème qui avait d’ailleurs été évoqué avec M. Kotaite…
— Hm. Oui. Il y a le deuxième document qui est moins important et qui
concerne la répression des actes illicites, mais cette fois, qui sont perpétrés
dans les aéroports.
— Ha d’accord.
— Oui, c’est un protocole. Cette fois-ci, c’est un protocole, pour la répression
d’actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile
internationale, complémentaire à la convention précédente, quoi.
— Ok, j’en ai pris note.
— Et si vous voulez la référence de ce document c’est le 9518.
— Je pense que mes collègues devraient l’avoir, quand même… s’ils
travaillent bien, ça devrait… Enfin, j’en ai pris note quand même.
— Donc je ne sais pas comment ça peut intervenir, et quelles sont les
compétences, ou les organismes compétents qui…
— Bon, écoutez, de toutes façons la Direction des Nations unies chez nous
est saisie de l’affaire et traite directement avec notre délégation de l’OACI à
Montréal de cette affaire, et la suit également. Et moi je suis avec tout le monde le déroulement de l’affaire. Bon, ce qu’on est obligés d’attendre, c’est un petit peu voir quelle est la réponse, si on en a une, de nos interlocuteurs soudanais. Je crains qu’on n’obtienne pas beaucoup plus, mais enfin, on va bien voir, il faut peut-être essayer d’être un petit peu optimiste, et selon la réponse, eh bien, on enclenche immédiatement, peut-être, les démarches successives qui s’imposent, mais de tout cela, je vous tiens régulièrement au courant, hein.

À la fin du mois de mars, j’ai en main de nouveaux documents à faire valoir
auprès de mes correspondants du quai d’Orsay. Il y a non seulement l’annexe 13, la saisine du Conseil de l’OACI, l’article 84 sur le règlement des différends, l’article 38 sur les dérogations aux normes et aux procédures internationales, mais également l’annexe 17, la Convention pour la répression des actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile et son protocole additionnel. Mais l’État français ne me semble toujours pas désireux de poursuivre les criminels. La mise en place de ces recours me paraît de plus en plus compromise. »