La conversation que j’ai avec Mlle Pagnier le 3 mai est retranscrite aux pages 608 à 610 de Malim Une histoire française.

« J’appelle Mlle Pagnier à ce sujet le 3 mai. Nous refaisons, dans un premier
temps, le point des démarches de M. Laugel.
L’ambassadeur a été reçu par le ministre des Affaires étrangères et l’on
commence en fin de compte à répondre aux premières notes verbales, me dit-elle.
— Évidemment, c’est pas très encourageant pour vous parce que vous avez
sûrement l’impression que, si on commence à nous répondre aux notes du mois de décembre, pour vous, ça n’avance pas. Ceci dit, dans l’absolu, si. Ça prouve qu’il y a quand même un léger déblocage de la situation. Cela prouve que, quand même, heu, à force d’avoir des démarches pressantes, les Soudanais réalisent qu’il faut qu’ils prennent position. Alors là, ils ont donné un petit peu plus de précisions, c’est-à-dire que, au lieu de dire que l’appareil avait été descendu, point final, ce que tout le monde savait, ils ont donné la nature du missile, ils ont donné l’altitude, ils ont donné d’où était parti, d’après leur enquête, le missile. Ceci dit, il est bien évident que nous ne nous sommes pas contentés de cette réponse, et nous avons considéré que nous voulions d’autres notes et nous voulions d’autres précisions et des contre-expertises. Bon, maintenant on les attend, c’est déjà un premier point positif. Vous savez qu’il y a aussi cette fameuse enquête de l’OACI, dont ils n’ont pas fait état à notre ambassadeur. Ils n’ont pas du tout parlé de l’OACI à notre ambassadeur. D’ailleurs, comme c’est une enquête tout à fait séparée, c’est une demande séparée de la part de l’OACI, c’était plus à nous d’en reparler, mais elle a été demandée et nous savons que… c’est vrai, la demande a été faite, la demande a été réitérée, bon, là aussi, faut
attendre, voilà où on en est pour l’instant.
— Vous avez donc demandé au Conseil de l’OACI d’examiner la question.
— Voilà, alors tout ça, ça prend du temps, hein, c’est… Malheureusement, ça
se fait pas en 24 heures et je sais que pour vous, pour la famille, je me mets tout à fait à votre place, je sais que pour vous c’est assez, assez désespérant.
— Hm.
— Cela dit, il y a des petits points…Voilà où on en est pour l’instant…
— Oui, et au niveau de l’OACI ils en sont où, … est-ce que vous savez où…
— Ha ben non. Eux font leur procédure, après ils nous tiennent au courant,
mais, heu… Si vous voulez, c’est quand même un organisme international. Ils nous tiennent au courant de temps en temps, mais si vous voulez, c’est pas nous qui pouvons relancer tous les deux jours, hein.
— D’accord.
— Donc, eux vont nous dire… Mais pour l’instant on ne peut pas les relancer. Eux font leur procédure, eux font leur travail.
— Oui. Bon, d’accord… Donc, il faut attendre de leur part qu’ils informent.
— Exactement. Bon, il est évident qu’il y a des réunions, qu’il y a des contacts. La question sera reposée, et même par notre représentant sur place, en disant «bon, ben, où en est l’affaire, est-ce que vous avez des informations». Hein, si vous voulez, c’est pas quelque chose qu’on, qu’on enterre, qu’on laisse dormir, on en parle de temps en temps, mais si vous voulez, vous ne pouvez pas toutes les, toutes les semaines… Notre représentant ne peut pas demander à l’OACI «et alors, et alors, et alors, où vous en êtes». On en parle, il en parle, lorsqu’il a des réunions, lorsque les affaires sont évoquées.
— Et qu’est-ce qu’il en est du contenu de l’entrevue de M. Laugel au Soudan?
— Bon, ben, je vous ai dit, c’est un peu plus positif que d’habitude. Puisque
d’habitude, bon, ben on n’obtenait pas de réponse, on n’obtenait rien. Si vous voulez, on avait un silence courtois en face de nous. Cette fois-ci, on a déjà eu une réponse et une attitude plus bienveillante de la part du ministre des Affaires étrangères. Bon, ce qui nous a permis de lui dire merci pour votre réponse. Mais c’est pas tout à fait ça, hein, c’est même pas ça du tout. Nous vous rappelons que nous avons envoyé telle et telle correspondance et que nous avons demandé des précisions. Nous voulons une véritable enquête, un véritable rapport d’enquête très détaillé, sur quoi il en a pris note.
— Il devrait donc répondre précisément.
— Exactement, seulement c’est pas pour ça qu’il nous répondra demain
matin. Là encore il va nous falloir de la patience. Il va falloir redemander
des réponses aux questions qui ont été posées, aux notes verbales qui ont été remises au ministère des Affaires étrangères.
— Oui.
— Vous savez, c’est désespérant aussi pour notre ambassadeur parce que lui
aussi se bat contre… heu…
— Oui, il connaissait très bien le pilote, je sais.
— Oui. Et nos interlocuteurs sont pas des gens faciles, ce sont pas des gens,
si vous voulez, qui… qui sont arrogants, qui vous envoient promener. Mais ne pas avoir de réponses et avoir des édredons, c’est encore plus désespérant.
— Oui, oui, bon… Mon frère nous parlait dans ses lettres de la façon dont les
autorités soudanaises… Pour avoir les autorisations de vol, c’était toujours très long aussi…
— Ho c’est très long, l’administration soudanaise. Et puis la situation ne
s’améliore pas pour l’instant donc, comme il y a des dissensions, comme le
gouvernement n’a pas une assise populaire, c’est le moins qu’on puisse dire,
donc il essaie de se maintenir, avec une certaine autorité, par cette hauteur, par cette froideur.
— Oui, j’ai vu dans la presse qu’il y avait eu un coup d’État qui avait été
réprimé, là aussi ça peut ralentir…
— Ho ça n’est pas… ça n’empêche pas une réponse, une action. Disons que ça peut ralentir. Ça dépend… ça peut être à double tranchant… Le gouvernement, justement, puisqu’il vient quand même de réprimer un coup d’État, puisqu’il y a quand même eu un certain nombre d’exécutions, c’est le moins qu’on puisse dire, peut peut-être essayer de montrer qu’il est plein de bonne volonté et se racheter en agissant sur notre dossier, par exemple sur celui-là, ça dépend, c’est à double tranchant, ou au contraire, essayer de traîner en disant «ben, pour l’instant, là, on gagne du temps, nous, on essaie d’assoir notre autorité, et puis quand on sera plus assis, eh bien, on répondra…», c’est à double tranchant, et au contraire, ça peut peut-être débloquer.
— Oui hm.
— Vous savez, les contacts sont pas faciles avec eux. Notre ambassadeur
qui joue sur place… Ici, à l’ambassade du Soudan, vous savez très bien que
l’ambassadeur n’est pas arrivé, et puis, il est aux couleurs du régime, et le chargé d’affaires est quand même quelqu’un qui, eh bien, qui ne veut pas s’opposer à son régime et qui tient à survivre.
— Oui d’accord.
— Donc nous en parlons, hein. Même ici, je vous dis, quand moi je reçois le
chargé d’affaires, et Dieu sait que je le vois de temps en temps puisqu’il nous demande des crédits, la réponse est la même, heu, non. Je le vois donc et à chaque fois j’aborde cette question…en disant «vous avez aussi d’autres dossiers sur lesquels nous vous avons demandé des questions, montrez votre bonne volonté et puis une bonne volonté entraînera peut-être une autre bonne volonté».
— Oui bien sûr.
— Bon ben à force de donner ce genre de messages, il est bien obligé de les
envoyer également à son gouvernement.
— Hm.
— Il est bien évident que nous n’aidons pas le gouvernement soudanais
puisqu’il y a l’affaire de cet avion et ça, il n’y a absolument aucune raison.
J’évoque le courrier du député du Cher et la réponse du ministre Dumas qui
lui avait été faite. J’informe Mlle Pagnier de mon intention de prendre rendez-vous avec M. Normand. Peut-être serait-il possible de la rencontrer elle-même à cette occasion. Elle me répond que selon son planning, à ajuster avec celui de M. Normand, une rencontre devrait être possible dans la semaine du 14 au 18 mai. Il faut voir avec le conseiller du ministre. »