« Puis la « longue marche » de Hissène Habré conduit ses forces à prendre le contrôle de N’Djamena le 7 juin 1982 au matin, sans rencontrer de résistance. Le Toubou de Faya-Largeau met en place un régime dont l’Acte fondamental de la République, rendu public le 21 octobre 1981, devient la nouvelle constitution. Hissène Habré cumule les fonctions de chef de l’État et de chef du gouvernement, nommant ministres et membres du Conseil national consultatif. Plus que jamais opposé à la présence libyenne dans la bande d’Aozou, il prend cependant des contacts afin d’établir des relations diplomatiques avec la Libye[1]. Face à l’échec de la normalisation des relations entre les deux pays, Hissène Habré décide de porter la question de la bande d’Aozou à l’ordre du jour du prochain sommet de l’OUA. Celle-ci doit se tenir début août à Tripoli, sous la présidence du guide libyen. Il ne s’agit plus de circonscrire la question aux travaux du comité ad hoc, mais bien de la porter en séance plénière : les questions territoriales concernent tous les États africains et les prétentions libyennes sur Aozou compromettent le principe d’intangibilité des frontières issues de la colonisation, principe acté lors du sommet de l’organisation africaine du Caire, le 21 juillet 1964. Elles ouvrent la porte aux revendications sur de multiples différends frontaliers africains. Pour Kadhafi, la remise en cause de ses prétentions territoriales sur la bande d’Aozou à Tripoli même est un affront intolérable. La réunion de l’OUA du mois d’août échoue. Elle est reportée trois mois plus tard, en novembre, à Tripoli.
Hissène Habré se montre disposé à maintenir les contacts et poursuivre le dialogue avec le colonel Kadhafi, en vue d’établir des relations diplomatiques. Des rencontres informelles sont envisagées, par émissaires interposés entre Ahmad Allam-Mi, ambassadeur du Tchad, et le colonel Hassan Echcal, responsable libyen du secteur centre. Lors de la rencontre du 3 octobre 1982, la reconnaissance par la partie tchadienne de la frontière telle que définie par Kadhafi est un préalable obligatoire à toute tentative de rapprochement[2]. Le contact avec le colonel Echcal sera un échec.
Lors du sommet de novembre, les positions libyennes sur la question de la bande d’Aozou n’ont pas évolué et Kadhafi tente d’imposer le GUNT comme unique représentant du Tchad. Le régime de Hissène Habré est pourtant reconnu internationalement et lors de la conférence des chefs d’État de France et d’Afrique, les 8 et 9 octobre 1982, à Kinshasa, le président Mitterrand lui-même, parmi les chefs d’États africains, l’a reconnu seul représentant légitime du Tchad. Cependant, le colonel Kadhafi refuse d’accueillir la délégation officielle de N’Djamena conduite par le ministre des Affaires étrangères, Idriss Miskine, arrivée le 16 novembre dans la capitale libyenne. L’ambassadeur du Tchad, Allam-Mi, parvient néanmoins à échanger quelques mots avec le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdel Ati Al Ouebeidi. Celui-ci lui notifie que la question de la représentativité de la délégation tchadienne doit être tranchée par le Conseil des ministres de l’OUA. Il lui indique également qu’à propos du différend sur la bande d’Aozou, il entend bien qu’« il existe des différends entre les meilleurs amis du monde, mais que ces différends doivent être examinés et résolus dans un cadre amical et non pas sur la scène internationale »[3]. En demandant de mettre la question de la bande d’Aozou à l’ordre du jour du sommet de l’OUA, Hissène Habré remet en cause la convergence des intentions française et libyenne favorables à une résolution bilatérale du différend territorial. La saisine de l’OUA écarte d’autant la possibilité d’une négociation bilatérale souhaitée par les deux acteurs, Mitterrand et Kadhafi. »
[1] Allam-Mi. Autour du Tchad en Guerre. p 98.
[2] Allam-Mi. Autour du Tchad en Guerre. p 120.
[3] Allam-Mi. Autour du Tchad en Guerre. p 109.