« Dix jours après les pluies, l’aide humanitaire internationale, arrivée dès les premiers jours, est toujours dans les casernes de l’armée, en attendant quoi ou qui, personne ne le sait. La distribution se fait au compte-gouttes. On commence à s’interroger sur cette rétention. Le PNUD affrète un hélicoptère et le représentant de l’agence onusienne constate par lui-même l’étendue des dégâts autour et dans la ville. Dès lors, la RRC est sommée d’obtempérer, bien qu’elle soit la seule instance habilitée à traiter les urgences sur le territoire soudanais. Les réunions de coordination de la Commission seront désormais tenues sous l’égide des Nations unies.
L’avion de MSF atterrit en provenance directe de Paris le dimanche 14 août à 2 heures, trois jours après l’arrivée de pas moins de cinq journalistes. Les médias occidentaux se déplacent. Les priorités ne peuvent être plus claires. Les images des inondations sont impressionnantes et rapidement accessibles à la sortie du vol international. La couverture du sujet sera facile et aura une audience garantie. Les journalistes font leur travail. La manière dont l’armée soudanaise organise la distribution de l’aide internationale apportée aux victimes des inondations commence à être critiquée. On entend dire qu’elle n’est pas le meilleur canal pour cette distribution. Des générateurs électriques et des pompes à moteur auraient disparu après avoir été réceptionnés par l’armée sur l’aéroport de Khartoum. La coalition gouvernementale est mise en cause, notamment les Frères musulmans. Ils ne distribueraient l’aide qu’ « aux personnes qui figurent sur des listes préétablies », négligeant ceux, tout aussi démunis, qui n’appartiendraient pas à la confrérie[1]. On s’interroge : l’aide pourra-t-elle être acheminée dans toutes les zones touchées par la crue ? Le Nil Bleu est sorti de son lit sur 500 km à l’est de la capitale, au nord, les exploitations maraîchères sont détruites. On rapporte que dans le district de Dongola, plus de 100 km2 ont été recouverts par les eaux et qu’aucune équipe de secours n’a réussi à se rendre sur place. Le sud a aussi connu des pluies abondantes. Qu’en est-il de l’acheminement de l’aide dans ces zones ? On accuse le gouvernement soudanais d’être dans l’incapacité la plus totale de faire face à la crise et de s’être délesté de la charge sur les militaires. Le gouvernement soudanais réagit à ces accusations. Il annonce le 18 août le limogeage du chef de l’état-major des armées et de trois de ses principaux adjoints, accréditant les rumeurs de détournement de l’aide internationale et les mises en cause de l’armée. Le 23 août le gouvernement décide de soumettre les journalistes étrangers à la censure. Tous les articles, photographies et films d’actualité devront désormais être soumis à l’approbation préalable des services du ministère de l’Information, et il sera interdit de se rendre sur les lieux sinistrés sans être accompagné d’un représentant du ministère[2].
Les journalistes venus d’Occident, ne pouvant sortir de Khartoum, sont hébergés par les ONG, pour certains à la maison MSF de la capitale soudanaise. Il est habituel de s’y attabler ensemble le soir, bien qu’il y ait toujours des retards : une voiture embourbée, une pompe à eau à brancher, la vacation radio qui a trop tardé, mais en général, journalistes et membres de MSF se retrouvent à la table d’Amadou. Les articles sur les inondations étant écrits et envoyés par télex à Paris, les bribes d’information sur le scandale d’El Meiram commencent lentement à pénétrer même les tympans les plus sourds. Dans la ville du Sud-Kordofan, la situation se tend. La sécurité surveille les mouvements de l’équipe jour et nuit et l’utilisation de la radio n’est plus possible. Bien que beaucoup de journalistes hébergés par MSF aient su déjà ce qu’ils allaient écrire sur les inondations avant même d’être arrivés, d’autres écoutent et finalement, les informations sur la situation au Sud-Kordofan commencent à circuler sur les ondes et dans la presse écrite. Le 16 août, Radio France International procède, avec Marc et Christopher, à l’enregistrement d’un reportage sur le dilemme insoutenable à El Meiram. L’émission est diffusée le lendemain. Depuis l’ouverture de la mission le 10 juin, le nombre de « déplacés » dinka a quadruplé en l’espace de deux mois. D’environ 6 000, ils sont désormais 25 000, et les décès par malnutrition se comptent maintenant par centaines. La situation ne fait qu’empirer et l’assistance alimentaire ne suit pas. Les distributions attendues n’arrivent pas ou sont insuffisantes et les conditions sanitaires sont effroyables. »
[1] Le Monde. 26 août 1988.
[2] La censure a été officiellement levée cinq jours après.