Mes chers parents, précise le portrait de Jean-Paul, son départ pour le Soudan, décrit l’action humanitaire de la communauté internationale à destination de la population civile du Sud-Soudan via l’ONU, les ONG et le CICR lors des mois d’octobre, novembre et décembre 1989 et retrace le parcours de mon frère au Soudan à travers ses lettres.
La mission d’Aweil, octobre 1989
Jean-Paul arrive à Khartoum le 13 octobre 1989. Il découvre une capitale d’un pays en guerre civile. Dans ses lettres des premiers jours, il décrit la ville sous couvre-feu. On le suit de son arrivée à l’aéroport à la maison de MSF. Puis c’est l’attente du permis de se déplacer. Jean-Paul dépeint l’ambiance qui règne dans la ville, la vie de la mission de Khartoum, les informations sur le conflit du sud. Les affrontements armés reprennent. L’accalmie obtenue par l’ONU en mars ne tient plus mais Jean-Paul reste serein et les ONG œuvrant au Soudan poursuivent leur action. Une réunion de coordination est prévue avec les médecins des missions du sud une semaine après son arrivée.
En attendant son permis de voyager, Jean-Paul prépare sa mission, se documente sur les populations du sud, les pathologies les plus probables, fait des statistiques et compulse les enquêtes nutritionnelles. Il se rend à l’université ou se trouvent des études ethnographiques sur les Dinka. Éleveurs de bovins, les Dinka sont nomades et leur territoire s’étend du Bahr el Ghazal à l’Upper Nile. De grande taille, 1,80 m à 2,20 m, ils sont frêles d’allure mais solides. La population civile du Bahr el Ghazal fuit les combats, cherche refuge dans les villes ou s’exile vers l’Éthiopie. Ceux qui restent sont victimes de la famine. L’impression de Jean-Paul est simple. Il lui semble que « l’Islam veut reprendre en main le pays, le dominer avec patience, en maintenant la guérilla au sud, ce qui arrive. »
Le retour de Dinka, à Bor, en 2005, après les accords de paix. © article de l’UNHCR |
L’organisation sociale des Dinka n’est pas centralisée, comme celle des Nuer, leurs voisins de la cuvette du Haut-Nil, également éleveurs. Les Dinka vivent de et par leurs troupeaux. Toutes les relations sociales sont construites autour de leurs animaux. Famille, village, clan s’organisent autour d’eux. Ils sont la représentation des âmes qui gouvernent leur monde, et le monde. Pendant des mois, les Dinka vivent exclusivement de leurs bêtes. Elles sont au centre de leur subsistance, lait et sang leur nourriture. Le troupeau fournit aussi le combustible, la bouse séchée sert pour le feu, et, mélangée à la terre, devient crépi pour les murs et ciment pour les sols des huttes.
Les éleveurs vivent en une véritable symbiose avec leurs animaux, qu’ils vénèrent. À chaque enfant est attribuée une bête, incarnation de son âme. Les bovins sont aussi respectés pour leur valeur économique, leur rôle social, religieux. Lors des mariages, les têtes de bétail sont la dot que la famille du prétendant doit remettre à la famille de la jeune fille. Toute la société dinka s’organise autour des troupeaux, et en cas de litige, les parties concernées règlent le différend par une compensation en bétail. Le but de ces éleveurs est de posséder le plus de bêtes possible, de préférence allaitantes, afin de produire le plus de lait possible. Le cheptel est l’unique richesse de l’éleveur.
La réunion de coordination a lieu les 21, 22 et 23 octobre. Les médecins des missions du sud décrivent le contexte de leur travail, les enfants que l’on doit laisser à leur sort par rupture de stock, la guerre d’usure, l’étouffement du sud par le pouvoir de Khartoum. Aweil est en pays Dinka, et depuis l’entrée des islamistes au gouvernement, la société dinka est la cible d’une guerre civile économique systématique. En atteignant le cœur de l’organisation sociale des Dinka, l’État soudanais vise le vivier des combattants du SPLA. Trois mois après le coup d’État des islamistes, El Bechir poursuit la mise en application des promesses faites.
Il semble à Jean-Paul « que les missions humanitaires sont en voie de disparition dans ce pays, mais il faut que cela se fasse sur le mode de l’usure ». Il est cependant confiant et la réunion de coordination médicale « a été d’un intérêt essentiel pour toute l’action curative au Soudan. » La préparation a été solide et ils ont confiance en lui.
L’hôpital d’Aweil, en 1989. |
Le 24 octobre, il obtient son permis de circuler et arrive à Aweil le 30, par un vol des Nations unies. Il décrit « Un petit village, finalement, des cases en roseau, toits de paille, dans la chaleur des tropiques ». Il découvre le centre de nutrition et l’équipe de MSF, fait connaissance avec le médecin soudanais de l’hôpital, le docteur Samuel, et les autorités de la ville. MSF apporte son soutien à l’hôpital depuis le mois de janvier. Il a fallu, à l’époque, tout mettre en place et le confort du début était tout simplement inexistant. Il a un peu évolué depuis. Des cases, en dur, les toukouls, ont été construits, bien construits. On s’éclaire aux lampes à pétrole et depuis peu, il y a même un néon, alimenté par une batterie, chargée pendant la journée par des capteurs solaires.
Mais la tâche est immense. Apporter un soutien à cet hôpital en dérive un défi accablant. « L’Afrique est le lieu d’un autre temps » écrit-il.
La maison de MSF. |
Les lettres de Jean-Paul deviennent un journal quotidien. Il décrit le travail de l’équipe et son intégration, les actions qu’il met en place progressivement. Jusqu’à l’explosion de la mine du Rice Project, le 11 novembre, tuant 17 personnes, et l’évacuation des blessés par ASF, le lendemain. Ce vol sanitaire emportera les dernières lettres que nous recevrons de Jean-Paul.
Le vol suivant aura lieu le 21 décembre.
La construction des toukouls. |
Le marché. |